La Religion
revenir à l’assaut ? Orlandu saisit sa bassine et, chancelant le long du mur, s’avança pour le découvrir.
LA SECTION DE LE MAS se répandit en travers de la brèche et les hommes qui l’avaient tenue jusqu’à minuit se retirèrent. Ils étaient imprégnés, comme d’une boue, des produits liquides du combat, et le soulagement précipita en eux un épuisement soudain. Les Espagnols de Le Mas achevaient les blessés turcs à coups de pique, là où ils reposaient, et ils balançaient ensuite les cadavres dans les douves, à coups de pied. Sous le couvert du combat, les sapeurs turcs avaient rempli diverses sections du fossé pour former d’étroits passages. Ils avaient également jeté en travers des passerelles fabriquées avec des mâts. À l’extérieur, dans les tourbillons de fumée fétide, il devait y avoir aux moins quatre cents corps frais en piles déchiquetées, dont certains bougeaient encore en murmurant des phrases du Coran. Beaucoup étaient brûlés et grillaient encore dans des flaques de feu grégeois. Derrière ceux qui étaient tombés, Tannhauser aperçut des groupes de yerikulu , traînant la patte, tirant des camarades blessés entre eux, sous l’œil méprisant de leur aga .
« Tes janissaires ont décidé de souper tôt », dit Bors.
Tannhauser fit non de la tête, désignant les caftans verts et les turbans blancs entremêlés dans la douve. « Infanterie régulière, des azebs du yerikulu . Les janissaires viendront ensuite. »
Bors demanda : « Que font ces aides ? »
Selon des intervalles de vingt pas au pied de la brèche, des ordonnances avaient roulé d’énormes barriques et cloué des passerelles de planches sur leurs bords. On était en train de les remplir d’eau de mer prise dans des tonneaux sur un chariot.
« Si vous recevez du feu grégeois, dit Le Mas, vous sautez dans les barriques pour vous rafraîchir. »
Il indiqua les parapets des deux côtés de la brèche, où les équipes de feu grégeois assemblaient leurs batteries. Soufre, salpêtre, huile de lin, sel d’ammoniac, térébenthine, asphalte et naphte. Les Turcs y ajoutaient de l’encens et de l’étoupe pour le rendre collant. Les Vénitiens y rajoutaient du verre pilé et de l’eau-de-vie. Contre les murs du parapet, les équipes empilaient des rangées de trompes, bouche vers le haut – des tuyaux de cuivre, fixés sur des hampes de piques, pleins de ce liquide incendiaire. Une fois allumée et pointée, la mixture bouillonnant dans le tuyau expédiait des flots de boules de feu. Les équipes installaient aussi, entre les créneaux, des caisses de poêlons de terre emplis du même liquide. Les Turcs les appelaient humbaras 1 : des pots en terre tenant dans le poing et scellés de papier, percés d’une mèche et emplis de feu grégeois gélifié. La plus ingénieuse invention de tous ces feux d’artifice était à mettre au compte de La Valette : des cerceaux de joncs noueux tressés, trempés dans le brandy et l’huile de Peter 2 , puis emballés de laine et trempés dans le même liquide inflammable que contenaient les trompes. On les allumait puis on les balançait à l’aide de pinces vers les rangs musulmans montant à l’assaut. L’effet était horrible. Ces équipes faisaient un travail infernal. Tannhauser prit le bras de Bors et changea de position dans la ligne pour être le plus hors de portée possible d’un déversement accidentel.
On fit passer un pot de baume camphré et ils s’en couvrirent barbe et moustache, contre la puanteur. Un invisible tireur d’élite fit feu au-dessus d’eux. L’un des tercios fut touché en pleine face, et ses camarades le remirent debout et l’envoyèrent, titubant, vers l’arrière.
« Fais-moi un peu de place », dit Bors.
Il en avait besoin pour manier son épée allemande à deux mains, dont la poignée faisait douze pouces et la lame soixante. Il fit tourner l’épée autour de sa tête pour réchauffer ses muscles et la lame siffla, dessinant une énorme forme de huit autour et devant lui. Avec la dextérité d’une dame pliant un éventail, Bors ramena soudain la flamberge vers lui et la planta entre ses pieds.
Tannhauser passa ses gantelets et examina l’épée qu’il avait prise dans la chapelle. La lame faisait trois pieds de long, avec une section centrale en forme de diamant aplati. Il évalua son poids à plus de deux livres. Italienne. Milanaise, avec un peu
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