La Religion
La sueur piquait aussi. Il allait s’accorder deux autres haltes pour se reposer avant d’atteindre le front, et au prochain voyage deux seulement. Il regarda de l’autre côté de la cour, vers le bouillonnement nocturne qui l’attendait.
Des flamboiements et des fusées incendiaires explosaient au-dessus des tueurs d’hommes à l’œuvre. À une certaine distance du pied de la pente, une section de combattants frais étaient rassemblés. À leur tête, Orlandu reconnut – en partie parce qu’il riait – le célèbre aventurier français, le colonel Le Mas, plus brave entre les braves, et même considéré dans cette compagnie comme un homme entre tous les hommes. Qui d’autre pouvait bien trouver de quoi rire dans un endroit aussi affreux ? Avec un frisson d’excitation, Orlandu se demanda si Le Mas n’allait pas prendre du pain et du vin de Dieu dans sa propre bassine. Il imaginait. Il jura de garder la tête droite, cette fois. De toute façon, il devait attendre jusqu’à être certain de ne pas gêner leur manœuvre. Le Mas gesticulait à l’adresse de deux compagnons très grands et costauds, plus larges que lui-même, et ils riaient aussi, et l’un d’eux, un vrai taureau, épaula le plus long mousquet qu’Orlandu eût jamais vu, son canon incrusté d’argent brillant à la lueur des flammes, et un panache de fumée blanche fusa vers quelque chose tout en haut du parapet intact. Un corps tomba, et tandis que le taureau abaissait son arme en hochant fièrement la tête à l’intention des autres, le deuxième homme ôta son casque et le lui tendit, et Orlandu vit que c’était le capitaine Tannhauser, et que donc l’autre devait être Bors, qui avait appelé Orlandu « mon ami » et avait promis de lui apprendre le backgammon. Tannhauser épaula lui aussi un long mousquet et tira, très vite apparemment. Une seconde masse de vêtements colorés tomba du haut du mur. Une paire de tireurs d’élite turcs venait juste de se faire abattre comme des lapins. Quels tireurs ! Tannhauser parlait tout en remettant son morion et les trois hommes se mirent à nouveau à rire. Inimaginable. À rire !
Orlandu souleva la bassine par les cordes et reprit sa marche. Ses mains chantaient de douleur. Il ne renverserait plus rien. Juré. Il espérait qu’ils ne le remarqueraient qu’après son deuxième arrêt, quand il pourrait peut-être rassembler plus de forces qu’il en possédait. Il commença à courir, à petits pas, surveillant la bassine où la mixture tournait en spirale, et les brûlures revinrent dans ses muscles, presque partout en même temps. Son visage se contorsionnait et ses poumons rugissaient. Il gardait les yeux attentifs au moindre signe indiquant que les trois hommes le voyaient, mais il était dans l’ombre et pas eux. Il fallait qu’il s’éloigne du mur. Il sentit les cordes glisser à nouveau, et il s’arrêta pour poser la bassine en la maudissant. Il décida que sa prochaine avancée devait le mener plus près de Bors, qui l’appellerait sûrement pour le présenter à Tannhauser et Le Mas, comme n’importe quel ami le ferait. Et alors il pourrait leur offrir de sa délicieuse mixture. Et Bors dirait à Le Mas que son bon ami Orlandu méritait mieux comme devoir que de traîner une bassine de vin à travers la merde et…
D’étranges cuivres hululèrent et un cri général d’épuisement mélangé de jurons obscènes suggéra que l’assaut turc était repoussé. Orlandu remercia la Vierge, car peut-être les troupes pourraient-elles venir chercher elles-mêmes leur pain trempé dans le vin. Les trois hommes regardèrent le haut de la pente, où la masse des défenseurs se portait sur les côtés en bon ordre pour ouvrir un espace en leur centre. Tannhauser et Bors tendirent leurs longs mousquets à un aide de camp et passèrent leurs gantelets. Puis chacun d’eux tira son épée en roulant des épaules. Un autre coup de trompe, une trompette chrétienne cette fois. Des sifflets. Des bannières avec des inscriptions diverses s’agitèrent pour instruire leurs compagnies respectives. La section de Le Mas se mit en forme de coin. Le coin pointait vers l’espace qui s’ouvrait tout en haut de la pente sanglante, et les réserves commencèrent à monter le tas de débris jusqu’au rideau de fumée ocre et brûlante.
Cela voulait-il dire que la bataille n’était pas terminée ? Les Turcs seraient-ils assez fous pour
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