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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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s’éclaira. « Imagine, mon amour. Nous allons jouer pour lui comme nous n’avons jamais joué. »
     
    LES DÉBUTS AVEC AMPARO avaient été durs. Carla l’avait trouvée lors d’une de ses chevauchées matinales, un jour cristallin de février, quand le brouillard fumait encore autour des jambes de son cheval et que les premiers cerisiers bourgeonnaient à peine. La brume cachait Amparo à sa vue et leurs routes auraient très bien pu ne jamais se croiser si Carla n’avait pas entendu une voix haute et douce résonner dans le paysage comme la tristesse des anges. La voix chantait en une sorte de dialecte castillan, suivant une mélodie inventée qui semblait contenir le carillon de la mort. Quel qu’en fût le sens, la beauté de cette chanson, comme détachée du monde, avait fait s’arrêter Carla.
    Elle découvrit Amparo dans un bosquet de saules. Si elle ne l’avait pas déjà su grâce à la voix, elle aurait eu beaucoup de mal à dire si ce qui s’enroulait autour d’un tronc, à moitié enterré pour se protéger du froid sous une masse de feuilles pourries, était mâle, femelle ou simplement humain, plutôt qu’une créature de la forêt issue des légendes. En dehors d’une guenille sale enroulée sur sa gorge et des restes d’un collant de laine, elle était nue. Ses pieds étaient grands pour sa taille, et bleus, comme l’étaient ses mains serrées entre ses seins. Ses deux bras, des épaules aux poignets, étaient meurtris d’hématomes livides, comme l’était la peau de son torse d’une pâleur translucide. Ses cheveux étaient d’un noir de jais, grossièrement taillés, et collés à son crâne par des plaques de boue. Ses lèvres étaient pourpres de froid. Ses yeux vairons ne montraient aucun signe d’angoisse ni d’apitoiement sur soi-même et, en ne le faisant pas, semblaient encore plus pitoyables à Carla que tout ce qu’elle avait vu de sa vie. Amparo ne lui expliqua jamais comment elle était arrivée dans cette forêt, sale, affamée et quasiment morte de froid. Elle ne devait que rarement évoquer le passé, et encore en ne répondant que par oui ou par non aux suppositions de Carla. Mais plus tard ce jour-là, quand elle se soumit au bain chaud que Carla lui donna, il y avait du sang et des dépôts visqueux autour de son pubis, et quelques-unes des marques sur son corps provenaient de dents humaines.
    Lors de cette première rencontre, Amparo refusa de la regarder dans les yeux. Il allait falloir des semaines avant qu’elle n’accepte de le faire, et cela demeura un honneur rarement accordé à qui que ce soit d’autre. Quand Carla sauta à bas de sa monture pour la prendre par la main, Amparo poussa un hurlement si perçant que le cheval faillit s’arracher à ses rênes. La détresse de l’animal fit immédiatement se relever Amparo. Elle réconforta le cheval en murmurant doucement à son oreille, complètement indifférente à son propre état pourtant si pathétique. Lorsque Carla l’enveloppa de son manteau, Amparo ne rechigna pas, et même si elle déclina l’offre de monter en selle, elle sembla heureuse de marcher en tenant la bride. C’est ainsi que, sept ans auparavant, Amparo était arrivée dans la maisonnée de Carla, accompagnant sa maîtresse avec le long manteau vert traînant derrière elle, comme une sorte de page va-nu-pieds tout droit sorti d’une fable jamais écrite.
    Les membres de la maison de Carla, son abbé, ses quelques connaissances au village, et les commères locales qui étaient bien plus nombreuses, tous pensaient que Carla était folle – en fait aussi folle que la fille elle-même – d’avoir accepté cette misérable dans son intimité. Amparo, qui avait alors apparemment une douzaine d’années, était sujette à de violents accès de colère face à d’obscures provocations, et passait des heures en conversation avec les chevaux et les chiens, à qui elle chantait des sérénades passionnées de sa voix cristalline. Elle refusait de manger de la viande ou de la volaille de quelque sorte que ce soit, dédaignait parfois le pain frais, et sa préférence marquée pour un régime de noix, de baies sauvages et de légumes crus n’ajouta jamais une livre à la constitution émaciée dans laquelle elle avait été découverte. Son refus de regarder le prêtre dans les yeux, et le fait qu’elle ait les yeux vairons, étaient des signes certains, comme l’usage le voulait, qu’elle avait une

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