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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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promontoire escarpé de l’île de Saint-Ange et elle regardait deux chaloupes à moitié déchiquetées de boulets et de balles retraverser la baie noire et argentée. Elle frissonna dans la fraîcheur de la nuit, son cœur lui fit mal dans sa poitrine, elle se sentit inconsolablement seule, et elle trouva cela étrange parce que la solitude était son endroit, son foyer le plus familier.
    Elle savait que Tannhauser n’était pas dans les bateaux, comme il n’avait pas été dans les bateaux les nuits précédentes. Elle les avait tous surveillés depuis que Bors était revenu. Elle avait surveillé chaque coup de rame, chaque ride qu’elle faisait sur l’eau. Pourquoi Bors et pas Tannhauser ? D’après les cargaisons sanglantes que les bateaux ramenaient maintenant sous ses yeux, d’après l’explosion qu’elle avait vue illuminer le port, elle savait que le fort dévasté de l’autre côté de la baie était désormais au-delà de toute aide et de tout renfort. Mais elle savait que Tannhauser était vivant. Elle avait vu son visage, à peine quelques minutes auparavant. Il avait trouvé une grande paix et il avait voulu qu’elle le sache. Puis il était parti, et elle avait eu peur, parce qu’elle ne parvenait plus à le trouver dans son cœur et elle avait pensé qu’il était mort. Et puis elle l’avait senti à nouveau. Plus du tout en paix, c’était vrai, mais vivant. À cet instant, elle avait conçu la notion que tant qu’il saurait qu’elle l’aimait, il ne mourrait pas. Pourtant, de son amour, elle n’avait jamais parlé. Comment aurait-elle pu ? Il n’y avait pas de mots capables de l’exprimer. Alors comment pourrait-il savoir ? Et comment pourrait-elle le lui faire savoir ?
    Du cylindre de cuir suspendu à son cou, elle sortit son étrange appareil divinatoire, mit son œil dessus et pointa le tube de cuivre vers la lune. Elle fit tourner les cercles de miroirs tachetés. Elle ne vit rien qu’un vortex de couleurs. Depuis qu’elle était arrivée sur l’île, elle avait perdu sa faculté de vision. Cette perte était peut-être due à la malfaisante aura de la guerre. Ou peut-être était-ce parce qu’elle était si profondément tombée amoureuse.
    Elle demeura assise sur le rocher jusqu’à ce que la lune ait achevé son voyage au travers de la nuit et reste suspendue, comme si elle était triste et hantée, au-dessus du bord occidental de la Création. L’horizon oriental virait à la pourpre derrière son dos, et dans sa pâle lumière violette elle vit qu’une quarantaine de navires de guerre turcs étaient entrés dans la baie et qu’ils étaient alignés poupe contre proue comme une impénétrable chaîne qui se courbait pour finir hors de vue, au-delà du cap où Tannhauser était piégé. Tout au bout de la péninsule, des flamboiements s’épanouirent comme une guirlande de feu autour de la gorge de Saint-Elme. Un immense arc de coups de feu s’abattit sur les pentes de la montagne au moment où quatre mille mousquetaires, en un seul incroyable rang, déchargèrent leurs armes. Les galères à l’ancre tanguèrent quand leurs canons firent feu à leur tour. La paroi du mont Sciberras parut vomir le contenu de terre en fusion qui la soutenait, car cent diaboliques canons de siège rugissaient à l’unisson. Et son amour était quelque part au centre de cet enfer.
    Une coloration dégringola du flanc de la montagne qu’elle regarda sans sourciller, et son cœur sombra en elle et son sang se glaça quand dix mille voix élevées dans la haine violèrent son âme. Du bord fracturé du fort une maigre salve crépita en réponse, et une bannière en lambeaux fut brandie contre la nuit qui s’achevait.
    Elle se rendit compte qu’elle avait vu tout cela dans sa pierre divinatoire. Le chaos sans fin. Le règne du désordre. Les abysses dans lesquels toute harmonie et toute structure avaient été plongées pour l’éternité. Elle leva une nouvelle fois son tube divinatoire et le braqua sur l’endroit où le soleil allait apparaître. Elle fit tourner les roues. Les couleurs tourbillonnèrent, ralentirent, et le rouge l’envahit, détrempant son être, et elle pensa que c’était du sang, puis pendant un instant, un instant terrible, infini et vrai, le rouge devint une robe, et une femme la portait, et cette femme en rouge se balançait au bout d’une corde serrée autour de son cou.
    Le tube tomba de ses mains sur ses cuisses. Durant un

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