La Religion
L’AUTRE CÔTÉ DE L’EAU, dans la coquille fumante de Saint-Elme, Tannhauser arpentait les défenses et il finit par trouver Orlandu à l’œuvre avec une bande de soldats maltais. Ils acheminaient des pierres sur l’escarpement de la brèche ouest, où la chaleur était intense et le ciel noir de mouches. Le garçon était torse nu, couvert de poussière collée par sa sueur. Comme Orlandu redescendait la pente de pierres, Tannhauser posa une jarre de gelée de coing sur le bloc qu’il avait l’intention de soulever. Orlandu cligna des yeux, comme pour conjurer un mirage, puis il se redressa et regarda son ancien maître.
« Ceci, dit Tannhauser à propos de la confiture, est la récompense la plus convoitée qui reste pour toute cette compagnie. » Il brandit une main. « Tes compagnons, là, se battraient aussi férocement pour elle qu’ils ont combattu pour cette brèche – s’ils savaient qu’elle était là. Que dirais-tu de m’aider à la finir ? »
Orlandu s’essuya la bouche d’un revers de main. Il jeta un coup d’œil sur la confiture sans répondre. Tannhauser prit le pot et le lança en l’air, et en un éclair les mains d’Orlandu le saisirent avant qu’il ne s’écrase sur les blocs. Tannhauser éclata de rire et arracha un sourire au garçon.
« Viens, dit Tannhauser, nous avons boudé comme des femmes bien assez longtemps. Et tu seras réconforté de savoir que jamais aucun homme n’a vendu sa fierté pour un prix aussi haut. »
Pendant que les Turcs avaient employé leurs tireurs d’élite et bombardé sans cesse depuis quatre points du compas, Orlandu avait évité Tannhauser jour et nuit. Il était clair qu’il nourrissait des sentiments blessés et que son sang latin bouillonnait d’insultes de sa fabrication personnelle. Tannhauser avait laissé les tâches épuisantes le calmer. Il avait gardé un œil sur sa sécurité et demandé à certains autres de faire de même. Maintenant, Tannhauser l’emmenait à la forge, qu’il s’était attribuée comme domaine personnel suite à la mort de l’armurier. Trois jours de solitude devant l’enclume, à refourbir des harnachements endommagés en buvant un vin de nostalgie, avaient restauré son contentement intérieur. La grande nouvelle du front – le Sabre brandi de l’islam, Torghoud Rais, mortellement blessé à la tête par un tir de canon du château Saint-Ange – l’avait atteint comme venue de très loin. La fin était proche pour la garnison dépenaillée de Saint-Elme. Selon ses calculs, cette fin de semaine verrait Mustapha conclure le siège. Il était temps, donc, de calmer le garçon pour son départ.
Tannhauser prépara son ultime reste de café sur le feu et, tandis que les boulets de pierre malmenaient le donjon au-dessus et faisaient dégringoler des douches de plâtras des voûtes, ils mangèrent la gelée de coing avec une cuiller en bois et aucun d’eux ne trouva difficile de pleurer de plaisir. Tannhauser ne pressa pas le garçon sur ses intentions, car le culte de la mort l’avait avalé et ses intentions étaient évidentes. A contrario , ce fut Orlandu qui le pressa.
« Je suis le garçon que vous cherchiez, né la veille de la Toussaint, non ?
– Tu l’es, dit Tannhauser.
– Comment savez-vous ça ?
– Cela a été écrit par le prêtre qui t’a baptisé, et juré par un homme très pieux. Orlandu Boccanera.
– Je renie le nom Boccanera, parce que c’était un porc, et le père de gorets, et il ne m’a jamais revendiqué comme son fils. Il m’a vendu comme une mule aux gratteurs de bateaux. Je mourrai en tant qu’Orlandu di Borgo. » Il regarda Tannhauser comme s’il s’attendait à une dispute.
« Orlandu di Borgo, oui, répliqua Tannhauser, mais tu pourrais revendiquer un autre nom – et un bien plus vrai – si tu en avais l’intelligence.
– C’est donc vrai ? Je suis le bâtard de la dame Carla ?
– Tu es son fils.
– Boccanera m’a dit que ma mère était une putain.
– Peut-être la considérait-il comme telle, s’il savait qui elle était, ce dont je doute grandement. En cela, il n’était pas le seul. Les hommes, et les porcs, sont durs pour les femmes qui sacrifient leur vertu, surtout par amour.
– Un amour véritable ? demanda Orlandu.
– Je connais bien dame Carla, dit Tannhauser. Elle n’aurait pas cédé sa vertu pour quoi que ce soit d’autre. »
Les yeux d’Orlandu remuaient,
Weitere Kostenlose Bücher