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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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pierres, et ils s’installèrent, l’épée posée sur leurs cuisses, regardant l’armée turque sur les pentes en face. Là-haut, janissaires, derviches, iayalars, spahis et azebs attendaient les cris de leurs imams et l’éclat des trompettes.
    Comme l’honneur avait été banni du champ de bataille depuis longtemps, une sorte de fierté primaire et sauvage devait diriger l’assaut final turc, car ils ignorèrent les murs non défendus, qu’ils auraient pu escalader aisément, ainsi que la porte principale abandonnée, et les nombreuses brèches moins importantes par lesquelles ils auraient pu se glisser sans rencontrer de résistance. Bien au contraire l’armée tout entière, avec un cri assourdissant affirmant la grandeur d’Allah, se précipita en rugissant du haut de la colline, comme une rivière portée à ébullition par la fin des temps. Son seul but était le fossé sanglant où tant de leurs compagnons étaient morts – et où les démons chrétiens chantaient à nouveau des hymnes et les huaient. La disparité de leurs nombres était presque comique. Pourtant les défenseurs n’allaient pas tomber sans enfoncer l’épine quelques pouces de plus dans le flanc du pacha Mustapha. Au grand étonnement de Tannhauser qui observait ce festin de sang démentiel d’une meurtrière au bas du donjon, la Religion soutint l’assaut pendant plus d’une heure.
    Épée et dague, demi-pique et masse. Hurlements de rage et d’agonie. Prières jusqu’au fond du cœur ; Luigi Broglia, Lanfreducci, Guillaume de Quercy, Juan de Guaras, Aiguabella, Vigneron, ils baignaient tous dans le sang, sous la férocité qui éclatait autour des deux fauteuils. Tannhauser vit la hallebarde de Le Mas traçant de grands arcs brillants dans la lumière de l’aube, et son cœur s’envola vers lui. S’il n’avait pas eu en lui la tranquillité d’esprit engendrée par le pavot dans son ventre, Tannhauser aurait été violemment attiré par l’envie de le rejoindre. Il mourait d’envie de le faire. Mais sa mort était reportée, une fois de plus. Il n’y aurait pas de gloire pour lui aujourd’hui, rien que la survie ou une mort ignominieuse. Si cette dernière prévalait, au moins était-il vêtu pour la circonstance.
    Il était nu, ne portant que ses bottes déjà bien déchirées, qu’il avait coupées à six pouces sous le genou et frottées de cendres et de charbon. On aurait dit qu’elles avaient été arrachées à un cadavre. Le bracelet d’or de Nicodemus, avec l’inscription qui maintenant se moquait de lui, mais qu’il n’avait pas cœur à abandonner, il l’avait refermé autour de sa cheville et entouré de chiffon. Dans l’autre botte, il avait caché ce qui lui restait de ses pierres d’immortalité. Il avait recouvert son torse d’une couche de saleté puante, abondante dans le fort. Même sans miroir, il avait confiance en son apparence d’esclave barbare. Le Mas, plus près du divin que jamais dans sa vie et avec une expression de franche gaîté, le lui avait assuré quand ils s’étaient dit au revoir. Le Mas, pour aider à la supercherie de Tannhauser, avait fait abattre à coups de mousquets les prisonniers turcs enfermés dans les écuries, plutôt que de les faire égorger comme on aurait pu s’y attendre. Maintenant, la blessure par balle de Tannhauser validerait d’autant plus sa prétention à être le seul survivant.
    Il ne manquait qu’un accessoire à Tannhauser pour parachever son stratagème, et tandis qu’il observait les derniers combattants sur la brèche, il se présenta. Une silhouette à moitié en armure roula du haut du talus sanglant, et vint s’écraser sur les cailloux dans un nuage de poussière. L’homme roula sur lui-même et arracha son casque, comme s’il se noyait, puis il se releva appuyé sur ses mains et ses genoux et vomit du sang. Il rampa sur quelques pas, pour revenir vers la bataille, puis retomba sur les coudes. Il leva sa main droite vers son front, puis la dirigea vers sa poitrine et son épaule gauche, avant de s’effondrer sans avoir pu achever son signe de croix.
    Tannhauser se retournait pour partir quand il entendit les appels aigus des trompes, qui le firent revenir à sa meurtrière. Sous les cris enthousiasmés de sang des survivants chrétiens, les Turcs se retiraient. Ce n’était que pour se reformer pour l’ultime assaut, très certainement. Mais même. Le Mas avait tenu la brèche une dernière fois.

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