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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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Il ne restait pas plus de quatre-vingt-dix hommes encore vivants sur le talus de pierres. La plupart des Espagnols et des Maltais étaient morts, restait le noyau de chevaliers préservé par leurs armures bien supérieures. Alors qu’ils se rassemblaient en phalange autour des fauteuils occupés par de Guaras et Miranda pour attendre la fin, Tannhauser descendit les escaliers en courant et s’engagea dans la cour intérieure.
    Il s’était réveillé avec une suée de fièvre sur le front, les jambes chancelantes et la blessure de son dos le brûlant comme un charbon ardent. Il tituba jusqu’au chevalier mort, propulsé par ses seuls genoux, et il le rejoignit dans la poussière et le souleva par les bras. La tête retomba. C’était Agoustin Vigneron. Poignardé à la gorge. La conception de son plan avait paru simple. Son exécution était bien plus éprouvante. Il s’accroupit, saisit le corps entre les jambes et le fit passer par-dessus son épaule, la cuirasse arrachant sa peau brûlée de soleil. Il serra fermement les cuisses du mort, planta un pied devant lui et poussa pour se relever. Il entendit le rugissement du combat qui reprenait et un énorme fracas d’acier entrechoqué non loin de lui. La rivière allait bientôt balayer les remparts et inonder le fort. Il avança en titubant vers les écuries.
    Le poids du cadavre et du métal eut presque raison de lui. Son crâne tapait comme s’il allait éclater, ses jambes étaient des tubes de gelée, sa poitrine sifflait et de la bile remontait dans sa gorge. Seule la peur lui donna la force d’atteindre son but. Il laissa tomber le cadavre en travers du seuil des écuries et s’écroula sur les pavés. Quand il reprit son souffle, il regarda à l’intérieur.
    Dans l’écurie, un amas de corps nus entrelacés s’étalait sur la paille. À peine une douzaine parmi des milliers. Mais ceux-ci étaient désarmés et misérables et ils avaient été assassinés pour assurer son salut à lui. Il étouffa la morsure de sa conscience, car la conscience était la démence la plus véritable de cet endroit. Il se détourna et observa la cour pour assister à la fin. Les hauts chapeaux blancs des janissaires se refermèrent sur les hommes d’acier. En une dernière extase frénétique de sang et de lames, les fauteuils des braves succombèrent et le fort Saint-Elme tomba.
    Broglia. De Guaras. Miranda. Guillaume. Aiguabella. Des hommes avec qui il avait combattu et bu du bon brandy. Des vies vouées à la guerre, finalement balayées dans l’éternité par ses marées. Le Mas fut déchiré en morceaux, ses membres coupés brandis en l’air. Quelques instants plus tard, sa grande tête apparut, plantée sur la pointe d’une lance.
    Tannhauser n’avait pas besoin d’en voir plus. Il regarda sa poitrine. Lui aussi était maculé de sang. Il sentait que son dos dégoulinait aussi. Il regarda Vigneron étalé à ses pieds. Il tira l’épée du mort et la posa un peu plus loin. Il prit ensuite une dague à la ceinture du chevalier, et, de sa pointe, il retira l’emplâtre de sa blessure à la hanche et rouvrit les bords de la plaie, jusqu’à ce qu’elle saigne. Il planta la dague dans la nuque de Vigneron. Puis il s’allongea contre le cadavre en une sculpture de lutte.
    Il ferma les yeux, la main sur le manche de la dague, et l’inconscience commença à l’envahir. Et avec elle vinrent des images. D’Amparo et du garçon, de Carla, de Bors, de Buraq, et de Sabato Svi. Sa tête commençait à partir et il s’efforça de la retenir. Il rouvrit les yeux et vit le visage tanné d’Agoustin Vigneron, les poils dans ses narines, les furoncles sur son menton, l’éclat sans vie de ses globes oculaires. Il inhala la puanteur écumeuse de semaines de privations, d’urine évacuée par la mort et si dénaturée par la soif qu’elle était presque noire. Il sentit la résistance obscène de la chair morte et encore dense qui servait d’oreiller à sa joue. Tannhauser avait rampé à travers les boyaux de l’obscurité humaine jusqu’à finir dans ses excréments, là, luttant maintenant contre un sommeil drogué, vautré sur le cadavre d’un camarade avec du sang qui coagulait sur sa peau, baignant dans la puanteur des morts qui pourrissaient, charnier d’esclaves exécutés, et prétendant être ce qu’il n’était pas. Et pourtant, que n’était-il pas ? Tout ce qu’un homme peut espérer être sauf vivant.

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