La Religion
faisaient paraître encore plus jeune que son âge. Il portait, autour du cou, un cylindre scellé de toile cirée et de cire. Tannhauser eut l’insigne honneur qu’il le lui montre. Le cylindre contenait une lettre pour Oliver Starkey, écrite par Tannhauser lui-même, détaillant certaines observations sur l’état des forces de Mustapha ainsi que le nombre et la taille de ses canons de siège et, anticipant le désir d’Orlandu de revenir à Saint-Elme, une requête selon laquelle le garçon ne devait en aucun cas être autorisé à le faire. Il demandait également à Starkey de faire ce qu’il pourrait pour assurer le confort et la sécurité des deux femmes.
« Le colonel Le Mas m’a chargé d’une mission, annonça Orlandu.
– C’est un grand honneur, dit Tannhauser, raconte-moi.
– Je dois porter ces lettres à La Valette et lui raconter ce qui s’est passé ici.
– J’espère que tu incluras la saga de mes propres actes de bravoure.
– Oh oui. On portera votre deuil au moins autant que celui de chacun de ces héros. Probablement plus. »
Tannhauser éclata de rire. « Ne m’enterre pas tout de suite, mon ami. Dis à La Valette que le renard a l’intention de courir avec les loups.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Il comprendra. » Il tendit la main et Orlandu la serra. « Fais attention aux tireurs d’élite turcs le long du rivage. Nage sous l’eau jusqu’à ce que…
– Je sais nager.
– Bien sûr. Pars vers le nord sur un quart de mille, avant de tourner.
– Je connais bien le chemin aussi.
– Dis à Bors et à dame Carla de tenir jusqu’à ce que je les retrouve, et ne les laisse pas imaginer que je veux dire dans l’au-delà. Dis à Amparo qu’elle est dans mon cœur. »
Orlandu cligna des yeux qui se voilaient de larmes. Il jeta soudain ses bras autour de Tannhauser, submergé d’émotion. Tannhauser réprima un cri car sa blessure le taraudait. Il lui passa un bras derrière les épaules.
« Nous nous reverrons aussi, dit-il. Ne l’oublie jamais. Maintenant, vas-y. »
Orlandu se retourna et partit en courant à travers la cour intérieure pour se perdre dans l’obscurité. Tannhauser était immensément soulagé. Il partit à la recherche de Le Mas. Le Français était monstrueusement affligé de coups de sabre et de brûlures mais, malgré tout, il était encore sur pied, dispensant des paroles d’encouragement aux frères et relayant les canons de la brèche à temps pour le lendemain matin. Ayant déjà confessé ses péchés au chapelain Zambrana et reçu la communion, il pouvait, et désirait, partager le brandy de Tannhauser.
Ils s’installèrent dans deux splendides fauteuils que Tannhauser avait sauvés du bûcher et il remercia Le Mas pour la faveur d’avoir renvoyé Orlandu. Il évoqua un peu l’histoire du garçon, que Le Mas prit pour une fable, pas plus invraisemblable que ce qu’ils avaient pu entendre de leurs compagnons aventuriers.
« Beaucoup des escapades les plus folles vont mourir ici sans jamais être racontées, dit Le Mas. À la fin, la vie de chaque homme n’est qu’une fable dite à celui qui l’a vécue, et à lui seul. Et donc nous sommes tous seuls, sauf pour la grâce de Dieu. »
Ils burent et s’étendirent sur ce qui s’était passé. Il ne restait plus que quatre cents défenseurs capables de tenir la brèche, et, parmi eux, seule une poignée ne portait pas de blessure grave. Durant cette seule journée, la plus sanglante de toutes, deux mille musulmans avaient été massacrés et, d’après Le Mas, sept mille au moins pourrissaient au pied de l’enceinte. Les pertes totales de la Religion, quand on en viendrait à les compter, ne seraient que de quinze cents.
« Cinq pour un, c’est pas mal, dit-il, si on considère notre infériorité en artillerie. Nous avons donné à réfléchir à tes païens. S’ils avaient le moindre bon sens, ils rentreraient chez eux dès demain matin. »
Nul ne le dit, même si tous deux le savaient, mais Mustapha pouvait plus facilement se permettre d’en perdre sept mille que la Religion quinze cents.
« Le bon sens est une denrée rare sur cette île, dit Tannhauser. Je dois te dire que si j’arrive à jouer parfaitement ma mascarade, j’ai l’intention de rejoindre l’ennemi déguisé en un de vos prisonniers de guerre turcs. »
Le Mas le regarda, fit descendre une goulée de brandy dans
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