La Religion
nez crochu et des yeux de velours, demeurait assis, silencieux, durant tous ces échanges, jetant des regards occasionnels vers Ludovico. Comme La Valette, Del Monte était un modèle de vieil âge tenu à distance par une vie d’action. La Valette surprit l’un des coups d’œil de Del Monte et se tourna vers Ludovico.
« Fra Ludovico, dit-il, quelle est votre opinion sur les intentions de Garcia de Toledo ? »
Ludovico marqua un temps, comme pour rassembler ses pensées, puis répondit avec un ton bas et grave dont il savait qu’il retiendrait fortement l’attention. « À cette heure, il n’existe aucun renfort de la taille dont vous rêvez. » Il écarta les mains, comme pour un appel à la raison. « Gardez à l’esprit que le recrutement, le transport et le déploiement d’une telle armée, tâche dans laquelle Toledo est vigoureusement engagé, représenteront la plus grande aventure méditerranéenne d’une puissance chrétienne depuis que son prédécesseur a tenté de prendre Djerba. »
Il dit cela innocemment, comme si, contrairement à tous les autres attablés, il ignorait que La Valette avait été l’un des avocats de cette expédition malchanceuse. La Valette ne fit aucun commentaire.
Ludovico poursuivit : « Une flotte se rassemble à Séville pour amener quatre mille hommes de troupe, et des hommes de toutes les garnisons d’Italie sont envoyés avec la plus grande promptitude. J’ai cru comprendre qu’il faudrait quelque temps pour les rassembler ; des semaines au moins. »
Un murmure de désarroi parcourut la table. La Valette l’arrêta d’un geste de la main.
« Vous vous tromperiez en voyant dans ce délai le moindre signe de conspiration, dit Ludovico. Pour preuve de ses bonnes intentions, Toledo a envoyé son propre fils, Federico, combattre à nos côtés. »
Federico avait accompagné les renforts ; Ludovico l’avait persuadé en personne de se joindre à cette cause. La pression sur Toledo était désormais personnelle autant que politique. Des hochements de tête approuvèrent, vigoureux chez les Espagnols, parcimonieux chez les Français.
« Je peux également vous assurer, continua Ludovico, que Sa Sainteté le pape fait tous ses efforts pour notre cause. » Il nota que son utilisation du nous, et du notre, passait sans la moindre anicroche. « Le Saint-Père a demandé à tous les gentilshommes italiens de rejoindre les couleurs de l’ordre, en particulier les chevaliers de Santo Stefano. »
Un certain nombre de grognements méprisants furent difficilement contenus. L’ordre de Santo Stefano, grossièrement modelé sur la Religion, avait été créé à peine quatre ans auparavant par le pape et son lointain parent, Cosimo de Medicis. Dans cette assemblée, ils étaient considérés presque unanimement comme une bande de ploutocrates bouffis, à peine capables de monter sur leurs chevaux.
« Peut-être pourront-ils nous envoyer quelques peintures », grommela Del Monte.
Il y eut un éclat de rire général et Ludovico sourit avec eux. Le moment était bon pour jouer du premier des instruments dont l’avaient équipé le pape et Michele Ghisleri avant son départ de Rome. De sur ses genoux, il produisit une sacoche de cuir portant les armes papales et la tendit à La Valette, qui reconnut immédiatement le sceau de plomb rond qui signifiait une lettre apostolique de la plus haute importance.
« Quand viendra le bon moment, dit Ludovico, Sa Sainteté espère que ceci s’avérera plus formidable que le canon. »
La Valette brisa le sceau de plomb dans un silence absolu et en sortit le vélin qu’elle contenait. La cire rouge scellant la lettre portait l’empreinte de l’anneau du Pêcheur. Il brisa également ce sceau et déplia la lettre. Le conseil attendit pendant qu’il la lisait. La Valette, visiblement ému, à vrai dire trop ému pour faire un commentaire quelconque, passa le document à Oliver Starkey, qui était assis à sa droite. Starkey parcourut rapidement le texte en latin et s’éclaircit la gorge.
« C’est une bulle papale, promulguée le 8 juin, qui accorde indulgence plénière à tous les chrétiens qui tomberont dans notre guerre contre les musulmans – frères de l’ordre, soldats, esclaves, civils, femmes. Tous. »
Des murmures circulèrent autour de la table. La bulle signifiait que chaque homme, femme et enfant qui mourrait dans la bataille pour Malte recevrait
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