La Religion

nettement réussies. Mais il restait beaucoup à faire. Et il fallait surtout qu’il prouve ses aptitudes physiques à rejoindre l’ordre.
    Et cela requérait de survivre à la bataille.
     
    LE JOUR SUIVANT l’arrivée de ces petits renforts, le pacha Mustapha envoya un émissaire pour entamer des pourparlers de paix. Les termes de la proposition étaient identiques à ceux que la Religion avait acceptés lors du siège de Rhodes, et étaient aussi généreux que possible, en dehors d’un retrait turc. Si La Valette rendait l’île immédiatement, lui et tous ses chevaliers obtiendraient la garantie d’un passage vers la Sicile en toute sécurité, avec leurs armes, reliques, étendards et leur honneur intact. Les populations seraient épargnées, deviendraient sujets du shah Soliman et jouiraient donc de sa protection, qui incluait la liberté d’adorer tout dieu selon leur convenance. Pour un certain nombre de très bonnes raisons, n’importe quel homme intelligent et amoureux de la paix aurait saisi cette offre à deux mains. La Valette écouta avec la courtoisie requise. Puis il ordonna que l’émissaire soit emmené au gibet de la porte Provençale et pendu.
     

T ROISIÈME PARTIE
    LES VENTS DISPERSANTS

DIMANCHE 15 JUILLET 1565
    La forteresse Saint-Michel – L’Isola
    LUDOVICO SE TENAIT sur le bastion de la forteresse Saint-Michel et écoutait l’appel impie à la prière. Des démons, esclaves des rodomontades d’un dément du désert ! Selon les arcanes de sa propre érudition, il savait peu de l’islam, mais plus qu’assez pour reconnaître un credo antithétique à la raison, conçu pour exciter et duper les esprits les plus primitifs. En tant que telle, cette foi continuerait sans aucun doute à trouver une large audience chez les races inférieures. Mais tant qu’elle pourrait être maintenue sur les terres arides dont elle était issue, l’histoire la considérerait comme hors de propos, ou au pire comme des chaînes entravant la marche de l’humanité.
    Les informateurs de Ludovico lui avaient raconté tout ce qui s’était passé ici pendant son absence. Mattias Tannhauser était mort au fort Saint-Elme. Le malotru compagnon de Tannhauser, Bors, était un chien qu’il valait mieux laisser dormir. L’histoire du garçon que Tannhauser avait suivi à la trace, et qui avait également péri, avait plongé Ludovico dans l’angoisse. Plus qu’il n’aurait osé l’imaginer. Il avait engendré un fils. Là où il aurait pu s’attendre à de la honte, il ressentait de la fierté. En lieu d’indifférence, une tristesse pénétrante. Ce garçon était une abstraction ; pourtant, il taraudait l’esprit de Ludovico. Tout comme Carla. Ludovico n’avait fait aucune tentative pour la retrouver. Il craignait le pouvoir qu’elle avait sur son cœur, et par conséquent sur sa volonté ; et il avait bien d’autres priorités, surtout aujourd’hui. À un quart de mille de distance, dans l’obscurité profonde de Santa Margharita, résonnaient le cliquetis des équipements et le sourd grondement de milliers de pas. La Bête rouge de l’islam était réveillée et assoiffée de sang.
    Anacleto était à ses côtés sur le chemin de ronde. Mèches et amorces luisaient tout le long des remparts, comme pour la célébration clandestine de rites interdits. Intercalés entre les porteurs de mousquets, les chevaliers de Saint-Jean se tenaient, ténébreux, silencieux, lugubres comme les sentinelles de l’avant-poste d’un pays dont l’entrée était interdite à quiconque, sauf aux damnés. Découpé sur le ciel du levant rayé de nuées écarlates comme d’autant de coups de couteau, il aperçut, assez loin, un groupe de silhouettes humaines. Il y eut une sorte de lutte. Puis une figure émaciée fut balancée de la potence qui pendait sur le plus avancé des bastions de Provence.
    Comme si ce spectacle macabre avait déclenché quelque chose chez l’invisible ennemi, les ténèbres des hauteurs d’en face explosèrent de déflagrations d’artillerie, et une grêle de métal et de pierre s’abattit sur Saint-Michel. Un coin de maçonnerie effondrée et une nuée de pierres balayèrent un groupe de défenseurs jusque dans la cour. Des bruits sauvages bourdonnaient aux oreilles de Ludovico et, ne s’étant jamais fait tirer dessus, il comprit avec stupeur qu’il s’agissait de balles turques sifflant autour de lui. Dans la lumière qui montait, il aperçut,