La Religion
dans les ruines de Bormula, un lièvre solitaire et terrifié fuyant son terrier violé. Il cavalait vers la forteresse comme si ses portes allaient s’ouvrir pour lui offrir l’asile. Puis, juste derrière la poussière soulevée par la course du lièvre, et à peine moins vive, une horde de déments surgit en rugissant des basses terres empourprées, armes et bannières brandies, aboyant comme des chiens des prières à leur faux dieu et à son prophète dégénéré.
Chaînes, mitraille et boulets jaillirent des gueules des canons chrétiens. Mais les andains meurtriers qui trouaient les rangs musulmans ne ralentissaient pas leur progression d’un pouce. Ils chargeaient vers Saint-Michel comme vers la porte du paradis, de grandes échelles dispersées entre eux, des filins enroulés sur leurs épaules, et festonnés d’armes de toutes tailles et de toutes sortes. Pour accueillir leur arrivée, des chaudrons de gras de porc bouillant furent transportés jusqu’aux mâchicoulis. Les porteurs maltais crachaient des jurons dans leur langue étrange, pas seulement à l’encontre des fumées délétères qui leur brûlaient les yeux, mais destinés aussi à leurs camarades démembrés et sanguinolents qu’ils devaient piétiner pour avancer, et qu’ils étaient contraints d’éclabousser de ce bouillon qui leur arrachait les chairs. Une clameur digne de Babel, les vapeurs de soufre et les gémissements angoissés des blessés envahirent bientôt des portions entières du chemin de ronde, comme si l’enfer avait débordé d’une sorte de gauchissement dans le tissu de la Création, et que ses rescapés avaient enfin trouvé refuge en ces lieux. Ludovico était un érudit en ce qui concernait le pouvoir et la peur. Dans ce qui était sa première bataille, il était témoin de l’apothéose de leur union.
La machine de guerre du pacha Mustapha avait œuvré pour cet instant depuis la chute du fort Saint-Elme. La vaste organisation architecturale des canons de siège et des gabions avait été démantelée pièce par pièce et traînée depuis les pentes du mont Sciberras jusqu’à celles de Santa Margharita, Corradino et San Salvatore. Des tranchées creusées dans le grès par les sapeurs ouvraient des blessures à travers le Bormula, droit vers les murs de L’Isola. Et sous terre, des mines avançaient vers les fondations de la citadelle.
Comme l’entrée du Grand Port était interdite à sa flotte par les batteries du château Saint-Ange, Mustapha avait construit une route de troncs d’arbres graissés en travers du dos même du mont Sciberras. Puis ses esclaves nègres avaient passé trois jours sous le fouet et – exploit qui emplissait les chevaliers d’étonnement et de désarroi – ils avaient tiré des vingtaines de galères de combat de Piyale, une par une, depuis la baie de Marsamxett, par-dessus la colline. Les navires avaient surgi au-dessus de la crête, puis plongé en grinçant sur les troncs torturés, comme des bêtes aiguillonnées en proie à la plus grande confusion. Les cordes et les chaînes qui ralentissaient leur descente bruissaient de cette formidable tension, certaines éclatant avec une violence mortelle pour ceux qui peinaient à la tâche. Et pendant que les bateaux massifs glissaient tout le long de l’escarpement, leurs quilles s’empanachaient d’une fumée noire arrachée au suif, et lâchaient des étincelles qui enflammaient la graisse, tel un convoi venu de l’Hadès dont les capitaines étaient si impatients d’emplir leurs cales qu’ils étaient venus s’emparer des vivants plutôt que des morts. Et désormais quatre-vingts de ces vaisseaux, et leurs canons de pont aussi, menaçaient les fortifications qui couraient le long du rivage.
De chaque point cardinal, depuis les hautes terres, le port et la pointe aux Potences, les deux péninsules chrétiennes, le Borgo et L’Isola, avaient été ainsi prises en enfilade par l’artillerie turque et avaient été bombardées ces dix derniers jours, de l’aube au crépuscule. Des dizaines de femmes et d’enfants de la ville surpeuplée avaient été frappés à mort. Des douzaines de maisons avaient été détruites. Et maintenant chaque canon turc martelait Saint-Michel.
Ludovico ignorait les projectiles turcs et observait le carnage qui dévastait la horde musulmane. Il aligna son attitude sur l’amiral Del Monte, Zanoguerra et Melchior de Robles, observant leurs boulets de canon qui
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