La Religion
qu’ils attendaient, mais La Valette les embrassa comme les héros qu’ils étaient.
Une nouvelle figure passa la porte, un homme de haute stature qui demeura un moment dans la lumière des torches comme pour savourer son retour. Les yeux de Bors furent attirés par la qualité exquise de son armure : une cuirasse striée laquée de noir. Il la portait par-dessus sa robe monastique. Une épée, plutôt qu’un rosaire, était ceinturée à sa taille. Quelque chose dans sa posture, le maintien de ses épaules, et le port de sa tête énorme, glaça le sang de Bors. Il portait un magnifique casque noir, avec des gardes pour le nez et les joues dans le vieux style vénitien, et sa crête était faite d’un christ en croix en relief. Il ôtait ce heaume maintenant et le plaçait sous son bras, puis il s’agenouilla sur les pierres, se signa et dit ses grâces. Létale comme l’était cette compagnie, il avait l’air d’un léopard courant avec les loups, et quand il se remit debout ses yeux étincelaient comme des billes noires dans les flammes. Il prit une profonde inspiration et balaya du regard tout ce qui l’entourait, comme un homme inspectant un royaume bientôt conquis.
« Par les blessures du Christ », murmura Bors pour lui-même.
Une nouvelle silhouette émergea de la porte derrière la première, plus mince, plus délicate, et pourtant aussi mortelle qu’un serpent dans son apparence. Lui aussi ôta son heaume qui révéla sa bouche dépravée – les yeux sensuels mais vides – dont Bors se souvenait très bien depuis les quais de Messine. Anacleto examina les murs et Bors se retourna pour grimper les marches vers le parapet.
Ludovico Ludovici était de retour. Il était temps pour les souris de marcher silencieusement.
CETTE MÊME NUIT LUDOVICO rencontra La Valette et tous les baillis du vénérable conseil. Était également présent Melchior de Robles, le commandant des renforts, qui n’était pas un membre de la Religion mais chevalier espagnol de l’ordre de Santiago. Ludovico avait gagné la confiance de ce dernier durant la traversée depuis Messine. C’était Robles qui avait précisé au vénérable conseil que Ludovico avait persuadé Toledo d’envoyer ces renforts.
L’humeur du conseil reflétait l’état de la ville, qui était lugubre. Le surentassement était extrême et exacerbé par les démolitions d’un tas de maisons, effectuées par les chevaliers pour raisons défensives. Une colonie de tentes avait été établie pour les réfugiés, dans L’Isola, là où les canons de siège nouvellement installés par les Turcs provoquaient de terribles ravages. La nourriture n’était pas un problème. Chaque habitant recevait trois pains d’une livre par jour, et les réserves de grain, d’huile, de viande et de poisson salés demeuraient conséquentes. Pourtant, malgré le remplissage des citernes sous Saint-Ange et le stockage de quarante mille tonneaux, les réserves d’eau potable approchaient un seuil critique, tous les puits et toutes les sources étant situés hors les murs. Rasage, toilette et lessive avaient été prohibés et ceux qui enfreignaient cette règle, une majorité de femmes, avaient été flagellés en place publique. Entre les jérémiades et les rumeurs qui agitaient la multitude, de violents désordres avaient éclaté aux points de distribution d’eau, et ces émeutes n’avaient pu être calmées qu’en fournissant des groupes de prisonniers sur lesquels la foule pouvait passer son mécontentement. Certains des râleurs les plus acharnés avaient été menés au gibet et pendus.
Malgré ces efforts, ils n’allaient pas tarder à faire face au manque, dans ses extrémités les plus graves. Ce qu’il restait d’eau devait être préservé pour la garnison. Un sourcier avait été mis à contribution et l’on creusait des trous partout dans les deux péninsules. S’il échouait, expliqua La Valette, il serait nécessaire d’expulser un bon nombre de petites gens hors des remparts, pour qu’ils s’en remettent à la merci des Turcs. Et comme, dans de telles circonstances, le risque de rébellion serait grand, c’était une décision qu’il ne prendrait que lorsqu’il n’aurait plus le choix. Mais il voulait que le conseil, et le conseil seul, sache qu’ils pourraient bien devoir tourner leurs armes contre la populace.
Personne ne protesta. L’amiral Pietro Del Monte, un homme robuste et puissant avec un
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