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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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l’entièreté de la piazza. Les alcôves s’étendant sur sa gauche et sur sa droite frémissaient d’innombrables blessés. Hommes, femmes, garçons de tous âges. Soldats maltais, espagnols. Civils des deux sexes. Chacun étendu comme affaissé dans des flaques qui brillaient sur les dalles. Des sœurs, des mères, des épouses étaient agenouillées près de leurs aimés, chassant les mouches hargneuses et la chaleur déclinante. Des prêtres en robes noires circulaient de place en place, avec les médecins juifs, qui n’étaient toujours pas bienvenus dans l’enceinte sacrée de l’hôpital malgré les nombreuses vies qu’ils s’étaient épuisés à sauver. La faible radiance rouge de la fin du jour et le murmure des prières et des lamentations donnaient à ce tableau l’apparence d’une apocalypse annoncée, comme si le Jugement dernier devait survenir sur l’heure et que ces pénitents frappés par le fléau de la guerre s’étaient traînés en masse devant la porte de l’éternité pour confesser leurs péchés et invoquer la pitié de Dieu.
    Carla était comme coincée entre les horreurs entassées à l’intérieur et celles de dehors. Toute contribution qu’elle aurait pu apporter à leur survie semblait triviale. Et dans quel but ? Ceux qui retrouveraient assez de force pour se relever seraient immanquablement jetés à nouveau dans le feu, pour infliger les mêmes crimes monstrueux à d’autres hommes, car les mahométans, au-delà des murailles, se languissaient dans une angoisse semblable. Son souffle était par trop rapide et sa poitrine se serrait comme un poing. Son cœur battait comme s’il allait s’arracher à ses amarres et la projeter au sol avec les autres. Pendant un moment, elle désira cette issue avec passion. Abandonner enfin le fardeau d’être le seul corps intact dans une foule de corps brisés et mutilés. Arrêter de pousser ce rocher vers le haut de la montagne. Être soulagée du devoir, de la panique, de l’échec et de l’attention.
    Quelque chose tira sur ses robes et elle baissa les yeux. Une main crispée agrippait le tissu trempé de sang. Un jeune homme d’à peine vingt ans était allongé à ses pieds, les épaules tremblant de l’effort fait pour lever le bras. Ses joues et ses yeux étaient des creux sombres gravés dans la poussière. Les étincelles humides d’une vie qui s’effaçait fixaient son visage d’en bas, et un trou noir remuait entre ses lèvres, sans un son. La gorge de Carla se noua et elle essaya de déglutir mais n’y parvint pas. Elle entrevit des pansements pourpres et une masse de mouches qui dépassaient d’un ventre mince et strié. Elle plissa les yeux pour arrêter les larmes qui montaient trop vite. Elle se détourna. Elle se détourna de ce jeune inconnu, qui n’embrasserait jamais son aimée, qui ne respirerait plus jamais l’air piquant d’un matin bleu, qui, en mourant ici dans l’obscurité grandissante, allait voler au monde tout ce qu’il aurait pu lui donner. Elle cligna des yeux. Dans le flou de ses larmes, elle aperçut son chemin à travers la piazza. Cela ne semblait pas si loin. Notre-Dame de Philerme lui pardonnerait, elle qui avait vu son fils flagellé sur une colline aride. La main crispée saisit à nouveau ses robes et elle le supplia silencieusement de la laisser aller. Elle fit un pas vers la piazza. Ce n’était pas si loin. Et qu’est-ce que cela pourrait bien lui coûter en horreur qu’elle n’avait pas déjà payé ?
    Elle sentit la main retomber et, pendant une seconde, elle se crut libre. Puis, avec une honte écrasante, elle comprit que ce n’était pas la main qui était tombée, mais elle qui s’était effondrée. Le jeune homme n’avait pas essayé d’implorer son secours, il avait voulu la sauver, elle, la sortir de l’oubli dans lequel son âme plongeait maintenant. Elle se retourna, désespérée, portant une manche à ses yeux pour éclaircir sa vision, et, en tombant à genoux à côté de lui, elle vit qu’elle arrivait trop tard et qu’il était parti. Les petites étincelles de vie avaient disparu de ses doux yeux bruns ; sa bouche était figée en un dernier cri silencieux ; sa poitrine, quand elle posa la main dessus, était molle et immobile. Même les pansements pourpres avaient perdu leur lustre. Il était mort sans ami, sans nom et abandonné, sans même le dernier regard d’adieu d’une inconnue. Était-ce ainsi que Tannhauser

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