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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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impropre, pour un homme de ma condition, d’être aperçu en train de discuter théologie avec son esclave.
    – Votre esclave ?
    – Pour sauver les apparences, seulement. Et sans nul doute, tu es l’esclave du sultan, comme la majorité de ses sujets. Les grands vizirs sont des esclaves. L’ aga des janissaires est un esclave. Les hommes les plus puissants de l’empire sont des esclaves. Les esclaves de Soliman. Sous l’empire, seuls les Turcs sont nés libres. Mais, comme nous venons de l’établir, quand il ne s’agit que d’une affaire de mots, où est la tromperie ? En Europe, la naissance est tout, et c’est un garrot sur chaque gorge. Mais sous le régime des Ottomans, le mérite peut te mener aux plus hauts conseils d’Istanbul. Piyale lui-même est né chrétien, bébé abandonné trouvé sous une charrue dans la campagne de Belgrade quand Soliman assiégeait cette ville. Il est maintenant le plus grand amiral de l’empire, et peut-être du monde. Il vaut certainement mieux être un esclave riche qu’un pauvre homme libre seulement de nom, qui gratte les bernacles dans le Grand Port et se courbe comme un serf à chaque fois qu’un noble passe. »
    Orlandu réfléchit à cela, pas encore complètement convaincu. « Alors je dois prétendre être votre esclave, faire semblant d’aimer le Turc et de vénérer Allah aussi ?
    – C’est plus facile que ça en a l’air, lui assura Tannhauser. Et quand ton ventre est plein et que les soies sont douces sur ta peau, cela devient plus facile encore.
    – Et ma mère ? »
    Tannhauser sourcilla, surpris que cette question jaillisse dans la conversation. « Elle est entre les mains de Dieu, comme l’attesteraient les deux fois. Toi et moi devons veiller sur nous-mêmes. » Orlandu se renfrogna face à la dureté de cette affirmation et, en vérité, Tannhauser se sentit quelque peu fraudeur. Mais il refusa de l’admettre. À la place, il se pencha et serra l’épaule du garçon. « Tu as été témoin de la dureté de la bataille, mon garçon. De la folie et du gaspillage. Tu as vu le chagrin, la terreur, la douleur. Peux-tu me dire si tout cela a la moindre raison d’être ? »
    Orlandu ne répondit pas.
    « S’il existe un Dieu, il t’a béni d’une intelligence affûtée, dit Tannhauser. C’est en l’employant que tu l’honoreras le mieux. Et maintenant, allons-y. »
     
    TANNHAUSER EMMENA ORLANDU au bazar, renoua quelques connaissances et échangea deux onces d’opium contre des akçe d’argent. Il soumit Orlandu à un bain partagé avec deux cavaliers spahis, et lui acheta quelques vêtements et des chaussons conformes à son statut, ainsi qu’un couteau et une petite marmite de fer, dont il lui promit qu’elle le rendrait populaire. Il lui apprit à dire le Shahada : Ashhadu alla ilaha Illa Allah wa ashhadu anna Muhammad rasulu Allah. (« Il n’est d’autre Dieu qu’Allah et Mahomet est son messager. ») Ce qui le ferait aimer des fidèles en cas d’urgence, et comme le maltais et l’arabe n’étaient pas des langues très éloignées, Orlandu le maîtrisa assez vite. Il lui dit de ne jamais courber la tête devant aucun homme, même un vizir, car on ne se courbe que devant Allah, et il découvrit que « Asalaamu alaykum » était une phrase d’accueil qui était déjà familière au garçon.
    Il insista sur le fait qu’ils ne devaient pas apparaître trop amis devant Abbas et son entourage. Il fallait leur faire croire que Tannhauser remboursait une modeste dette, par charité et gratitude envers Allah, plutôt que par affection pour le garçon, et rien de plus. Il le ramena donc ensuite au camp d’Abbas et le présenta au personnel, puis soudoya le valet d’écurie pour qu’il lui apprenne à soigner les chevaux, talent dont on avait toujours grand besoin. Orlandu, avec son évident instinct de garnement des rues, joua son rôle avec conviction et Tannhauser, purgé de sa bile noire, se félicita de cette excellente journée de travail.
    Plus tard, il fit cadeau à Abbas d’une livre d’opium et lui dit que, avec sa bénédiction, il avait l’intention de s’embarquer pour Tripoli le lendemain même. Abbas donna sa bénédiction, et une lettre de recommandation, mais son humeur était sombre et préoccupée, même s’il ne s’en expliqua pas.
    Tannhauser se retira sur ses coussins pour envisager un futur plus lumineux qu’il n’avait pu récemment l’imaginer.

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