Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
Vom Netzwerk:
le seul qui connaît mieux le taureau que les bouviers, c’est le rejoneador au moment où il l’achève.
    – Nom d’une verge, dit-il en comprenant soudain. Tu as assisté à la manière dont ils trouvent le taureau, de tes propres yeux !
    – Mon papa était bouvier.
    – Était ?
    – Il a trouvé un taureau qui a choisi de combattre dans les montagnes plutôt que sur la plaza . »
    Tannhauser encaissa en silence. Il se demandait si c’était un taureau qui avait imprimé l’asymétrie de son visage. Il préférait cette pensée plutôt que d’imaginer, comme il l’avait fait avant, que c’était le poing d’une sombre brute. Il ne posa pas la question.
    « Donc tu es une nomade aussi, dit-il.
    – Une nomade ?
    – Quelqu’un qui erre, sans cesse, et qui ne revendique aucune maison. »
    Elle toucha son sein gauche en disant : « Ma maison est ici. » Elle toucha ensuite la poitrine de Tannhauser et dit : « Et ici aussi. » Pendant que Tannhauser se demandait si c’était une invitation érotique, elle demanda : « Où est ton père ?
    – Très, très loin, dans les montagnes du Nord, répondit-il.
    – Tu l’aimes ?
    – Il m’a appris à forger l’acier, dit-il, et comment faire des feux brûlants, et le sens des couleurs dans le fer, et à soigner les chevaux, et comment être honnête, ainsi que plein d’autres bonnes choses, dont j’ai oublié les trois quarts, mais pas lui.
    – Alors, il est vivant ?
    – Je n’ai aucune raison d’imaginer le contraire. Il a toujours été fort comme un bœuf. Ou comme l’un de tes taureaux. Je ne l’ai pas vu depuis dix ans, et lui ne m’a pas vu depuis presque trois fois ce temps.
    – Je ne comprends pas. »
    Tannhauser étira ses épaules et regarda vers le ciel turquoise. Abbas avait ramené ces souvenirs, lui aussi, et il y avait résisté. Mais plus maintenant.
     
    APRÈS S’ÊTRE RETIRÉ DU CORPS DES JANISSAIRES, il avait récolté les dix ans de solde qu’il avait rarement eu la chance de dépenser, acheté un cheval et un caftan doublé de fourrure, puis il était parti, vers le nord, à travers les fiefs chrétiens du sultan, vers les marches de Hongrie orientale et les montagnes des Fagaras, pour atteindre finalement le village de sa naissance.
    Tannhauser, ou plutôt celui qu’il était en ce temps-là, Ibrahim le Rouge, s’était immédiatement rendu chez le forgeron et là, il avait trouvé un nouveau fils aîné, qui ferra son cheval avec adresse et toute la déférence qu’on accorde à un seigneur. C’est alors qu’il s’était rendu compte combien ses atours le plaçaient haut au-dessus de ces montagnards perdus. Et des atours ottomans, en plus. Il aperçut la mère du garçon dans la cour, une jolie chose pas encore trop abîmée par le labeur. Le garçon avait un petit frère. Leur père serait de retour au coucher du soleil et, oui, son nom était bien Kristofer. Au ton chaleureux du garçon, il était clair que son père était grandement aimé et respecté.
    Ibrahim était revenu le lendemain matin, et Kristofer était là : son père à lui aussi.
    La dernière fois qu’Ibrahim avait vu son visage, le monde était jeune, il était Mattias, le fils du forgeron, et les cheveux de sa mère étaient couleur bronze, et Britta chantait « Le Corbeau » en jouant avec Gerta dans la cour. Kristofer avait flanqué une bourrade dans le dos du jeune Mattias, en partant pour sa tournée des manoirs, et il lui avait dit de veiller sur les femmes. Et Mattias ne l’avait pas fait, même s’il avait essayé.
    Ibrahim trouva Kristofer dans la forge, penché avec son fils sur des charbons ardents, lui révélant quelque fascinant secret de son art. Il portait un long tablier de cuir. Ses cheveux étaient devenus gris mais sans désépaissir. Pour ses cinquante ans, il était plus que robuste, aussi solide que naguère, avec ses avant-bras épais et ses énormes mains. Il tournait à moitié le dos, et Ibrahim demeura dans l’encadrement de la porte, et il regarda, avec dans la bouche le goût de la forge, fait de suif et de corne brûlée, ses oreilles se réajustant au dialecte qu’il n’avait plus entendu depuis si longtemps, et à la voix qui réveillait tant d’échos.
    « Là ! dit soudain Kristofer, comme s’il avait repéré un oiseau de rare plumage. C’est le bleu, comme le ciel de l’aube au jour de l’an. Souviens-t’en. Toujours. Vite,

Weitere Kostenlose Bücher