La Religion
Tannhauser jeta un regard à Bors.
« Je me suis déjà souillé pour moins que ça, crois-moi », déclara Bors.
Sabato regarda Tannhauser. Ses yeux étaient hantés. « Je n’avais jamais tout perdu avant.
– L’Oracle ? dit Tannhauser. Ils n’ont fait que briser une chaîne qu’on avait à la cheville.
– Ce n’est pas ce que je voulais dire », murmura Sabato.
Tannhauser acquiesça. « Je sais. Pourtant, en perdant tout tu gagnes la chance de découvrir ce qui est précieux. »
Sabato vit qu’il parlait du fond du cœur. Il hocha la tête.
« Maintenant, fais-moi voir ces mains. »
Tannhauser prit un flacon dans le coffre. Il avait appris des rudiments de médecine de guerre par nécessité, et avait acquis la connaissance de nombreux remèdes auprès de Petrus Grubenius. Mise à part la manière dont elles avaient été infligées, les blessures de Sabato n’avaient rien de remarquable, déjà refermées d’elles-mêmes en deux petits trous qui ne saignaient quasiment plus. Tannhauser les nettoya avec du coudrier et les cautérisa avec de l’huile d’Hispanus. Il décida de ne pas les bander.
« Laisse l’air et le soleil les cicatriser, dit-il. Garde-les bien sèches, car l’humidité risque de les rendre purulentes. Si tu dois les cacher, j’ai une paire de gants de chevreau dans mon armoire que tu peux prendre. Elles te feront plus mal dans les jours qui viennent que maintenant, mais, malgré tout, tu dois bouger tes doigts sinon tu en perdras l’usage. »
Sabato plia les doigts. Il était pâle et son exubérance naturelle semblait affadie, mais loin d’être éteinte tout de même. Puisque la bravade semblait à l’ordre du jour, Tannhauser s’installa dans son fauteuil et fit un signe de tête à Bors pour qu’il remplisse de brandy les tulipes de cristal. Tannhauser en tendit une à Sabato.
« Ces choses te vident l’air de la poitrine, dit-il, mais pourtant, c’est dans de telles flammes que notre courage est retrempé. »
Sabato le regarda dans les yeux. Il leva son verre : « Usque ad finem. »
Bors et Tannhauser levèrent également leurs verres : « Jusqu’à la fin. »
Ils descendirent le brandy et Bors rechargea les verres.
Sabato Svi dit : « Brûlons-le. »
Ils levèrent les sourcils.
Sabato dit : « Tu parlais de flammes. Brûlons l’Oracle jusqu’aux caves. »
Tannhauser regarda Bors et vit que lui aussi, dans l’œil de son esprit, contemplait soudain un enfer de flammes dévorant tout ce qu’ils avaient construit, et sans le moindre effroi.
« Magnifique, s’exclama Bors.
– Sabato Svi, dit Tannhauser, finalement tu es un vrai poète comme je les aime. » Il leva son verre. « Au feu, et merde !
– Au feu ! »
Ils burent. Le rayonnement de bravoure qui s’élevait du ventre de Tannhauser était plus que bienvenu. Il se tourna vers la nourriture et attaqua la volaille rôtie. Sabato, comme s’il rechignait à ce que la seule poésie justifie l’incendie volontaire, ajouta un raisonnement précis à sa déclaration. « Notre crédit et la plupart de notre argent se trouvent à Venise. Quand nous les retrouverons, nous serons hors d’atteinte de la Couronne espagnole.
– Vrai, lui accorda Tannhauser.
– Et un incendie sur le port occupera toute la cité au moins jusqu’à midi, heure à laquelle nous serons partis.
– Avec douze quintaux de poudre encore en magasin, la moitié du front de mer également », dit Bors. Il avait pris trois belles bagues au capitaine et les essayait sur son petit doigt. Aucune ne rentrait. Il les mit dans une poche et but encore un brandy.
Tannhauser dit : « Je pars pour Malte. »
Sabato le regarda. Bors gloussa, et remplit son verre à nouveau.
« Donc je pars seul pour Venise, dit Sabato.
– Ta femme et tes enfants t’attendent, dit Tannhauser.
– Seule la mort vous attend à Malte.
– Pas moi, rétorqua Tannhauser. Comme toi, je n’ai pas de querelle avec le Turc.
– Donc c’est la comtesse, La Penautier, c’est elle qui se cache derrière ce désastre, dit Sabato.
– Elle est innocente de tout, sauf d’amour », répliqua Tannhauser. Il ignora les regards qui accueillirent cette affirmation. « L’inquisiteur, Ludovico, est responsable de notre ruine, personne d’autre. Il voulait ôter à la comtesse toutes chances de provoquer sa disgrâce.
– De tout sauf d’amour ? s’étonna Sabato Svi.
– Un
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