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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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n’aurait besoin de rien. La Sicile était le bord du monde. Au-delà de ses ports cosmopolites, dans des montagnes moins civilisées que n’en renfermaient les étendues de l’Espagne, peu de choses avaient changé en un millénaire. Une saison, une année, une décennie, le temps d’une vie, une ère. Un monde dans lequel de telles notions avaient peu de sens. Un monde qui avait regardé les civilisations passer, l’une après l’autre, les empires des puissants tombant comme des feuilles d’automne. Un monde régi par la mortification et l’obéissance aveugle. Elle pouvait disparaître dans cette sauvagerie, comme d’autres femmes gênantes avant elle : ses cheveux cisaillés, sa robe indécente déchirée, contrainte au silence absolu et vouée à la mascarade d’implacables icônes se faisant passer pour Dieu. Elle se rendit compte, de surcroît, qu’elle avait déjà virtuellement disparu.
     
    SON ENLÈVEMENT S’ÉTAIT accompli avec un étrange manque de drame. Un homme en armes et un prêtre étaient apparus, sans être annoncés. Aucun signe de Bertholdo et, Dieu merci, d’Amparo. Juste deux étrangers, dont l’un portait – quelle absurdité ! Pensaient-ils vraiment lui tirer dessus ? – un mousquet fumant. Non, elle n’avait enfreint aucune loi. Non, elle n’était pas en état d’arrestation. Non, elle ne pouvait pas savoir la raison de ce traitement, ni de quelle autorité il était issu. Le prêtre ne savait rien d’elle. Il ne savait que ce qu’on lui avait ordonné de l’obliger à faire. Toutes les questions trouveraient réponse en leur temps, sans nul doute, mais, pour l’instant, elle servirait au mieux ses intérêts en montant avec le prêtre dans son carrosse et en gardant son calme. Elle avait bien senti que le prêtre voyait en sa robe rouge une raison bien suffisante pour son arrestation et sa réclusion. Dans l’œil de l’homme d’armes qui l’accompagnait elle avait vu une supplique : qu’elle ne l’oblige pas à la traiter trop durement.
    Être traînée jusqu’au carrosse en hurlant n’aurait servi à rien de bon. Cela n’aurait fait qu’ajouter perte de dignité à la perte de liberté ; et cela aurait impliqué Amparo dans la catastrophe. L’impression d’impuissance totale évoquait à Carla ses plus anciens cauchemars. Alors qu’elle rassemblait les efforts requis pour garder la tête haute, elle s’était retrouvée comme à quinze ans, marchant vers le carrosse qui devait l’emporter hors de la maison de son père pour la toute dernière fois. Cette fois, pourtant, une voix s’était rebellée en elle, et l’avait incitée à se battre. Mais se battre comment ? Et pour quelle fin ? Et avec quoi ? Et que serait-il advenu d’Amparo ? Au moment de l’arrestation de Carla, Amparo faisait tourner ses miroirs divinatoires. L’habit du prêtre ne donnait aucune indication sur son ordre, ni sur l’homme qu’il servait, mais le fait qu’il ait été choisi pour exécuter cette sinistre tâche suggérait l’Inquisition. Tannhauser l’avait prévenue que les dons d’Amparo étaient dangereux. La pensée qu’elle puisse être torturée ou brûlée emplissait Carla de la plus grande horreur. Amparo serait mieux protégée en demeurant inconnue, même si cela signifiait l’abandon. Amparo survivrait. Elle avait réussi à faire son chemin vers Tannhauser. Il avait admiré la jeune femme comme personne avant lui. Pas même Carla. Il la protégerait. Elle ne pouvait pas lier le sort d’Amparo au sien.
    Ces calculs l’avaient propulsée dans le carrosse sans résistance. Pourtant, contrairement à la dernière fois, quand l’agent de son père l’avait emportée loin de Malte, elle voyait désormais son rôle dans une machinerie d’oppression beaucoup plus vaste. À chaque moment, et à travers tout le monde humain, tout un chacun exerçait un pouvoir sur quelqu’un d’autre. C’était le parfait simulacre d’un tableau de l’enfer qu’elle avait vu à Naples, dans lequel de grotesques personnages se précipitaient les uns les autres dans les flammes, ne pensant qu’à eux-mêmes. N’avait-elle pas été transportée en Sicile grâce au labeur de centaines de galériens ? À qui elle n’avait accordé aucune pensée au-delà de ses protestations sur leur terrible odeur ? Elle n’avait jamais rien su d’eux, ni de ce qu’ils avaient fait pour mériter une telle dégradation. Et elle ne l’avait pas

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