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La Religion

La Religion

Titel: La Religion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Collectif
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d’honneur sur le bastion de Provence. La Valette lui-même n’était qu’à quelques coudées de lui sur le chemin de ronde, et auprès de lui se tenaient son jeune page, Andréas, et le grand colonel Le Mas, ainsi qu’un groupe d’autres grands aux visages sévères. Tannhauser n’avait jamais rencontré une société si inquiète du rang et de la pureté du sang. Dans l’empire des Ottomans, un esclave pouvait devenir général ou vizir, s’il avait les qualités requises. L’amiral Piyale, dont les navires entouraient désormais Malte, était un enfant trouvé serbe des rues de Belgrade. Il fallait pourtant bien dire que, pour la masse des nobles Francs, la chevalerie était devenue une charade ; l’élite de la Religion était la plus plantureuse fraternité de tueurs que Tannhauser eût jamais vue. C’étaient des barbares du douzième siècle, munis d’armes modernes. Et, sans le moindre doute, ils cherchaient la bagarre.
    Tandis que l’armée à laquelle il avait voué un tiers de sa vie s’étalait sur les hauteurs, de turbulentes vagues de souvenirs roulaient en lui. Les soldats de l’ombre de Dieu sur cette terre n’avaient jamais été si beaux. Il n’y avait pas d’autre mot. Ils étaient également terrifiants, d’une manière dont il n’avait jamais été conscient auparavant. La précision sans faille avec laquelle quarante mille hommes de troupe se rangeaient sur ces hauteurs aurait suffi à elle seule à faire trembler les entrailles de quiconque. La qualité de leurs armes était exceptionnelle, tout comme l’était la qualité des hommes. D’avoir réussi à transplanter cet ensemble sur un rocher desséché à l’autre bout du monde était une merveille de puissance crue.
    Il voyait les équipes d’artilleurs de Topchu traîner leurs colossales couleuvrines à bouches de serpent pour les mettre en place. Il voyait les spahis et les iayalars, et les bannières jaunes du Sari Bayrak, et les pourpres du Kirmizi Bayrak, et, entre ces corps de cavalerie, il vit le pavillon de soie du pacha Mustapha se dresser soudain, brillant comme une sphère d’or contre l’horizon accidenté. Au-dessus du pavillon de Mustapha, le sanjak i-sherif fut déployé, la bannière de guerre noire du Prophète, marquée de la Shahada  : « Il n’est d’autre Dieu qu’Allah et Mahomet est son prophète. » L’ancêtre direct de Mustapha avait porté la même bannière au combat, pour le Prophète lui-même. Ce fait remplissait Tannhauser d’un effroi mêlé d’admiration, car le fantôme du Prophète se dressait au-dessus de cette colline ; et Mustapha et ses légions le savaient, car ils sentaient sa main sacrée posée sur chaque épaule.
    Tannhauser voyait aussi des bannières identifiant des régiments qu’il avait connus jadis pour leurs exploits et leur trempe, et auprès desquels il avait combattu dans les friches autour du lac Van. Mais parmi les orta de janissaires, il ne voyait pas l’étendard de la sienne : la roue sacrée des quatrièmes agha boluks . Pour Tannhauser, les janissaires étaient ce qui se rapprochait le plus d’une notion de pays. Ses sentiments pour leur foyer, sa loyauté, son amour avaient été aussi profonds que ceux de La Valette pour sa Sainte Religion. En abandonnant leurs rangs, tant d’années auparavant, il avait abandonné une partie de son âme ; mais s’il ne l’avait pas fait, il aurait perdu l’intégralité de son âme, car tel aurait été le prix des sombres exploits qu’on exigeait de lui. Même si leurs fifres et leurs tambours lui remuaient encore le sang et le cœur, il faisait maintenant face à ses anciens frères sur le champ de bataille. La poitrine et la gorge serrées, il attendait un son qu’il n’avait jamais entendu mais avait seulement proféré.
    Les terribles Lions de l’islam allaient rugir.
    Quand chacun des grands carrés de troupes, à cheval ou à pied, eut fini de prendre position en ordre de bataille, les hululements obsédants des cuivres et les mélodies frénétiques de la fanfare des mehterhane cessèrent brusquement. Les grands mouvements s’arrêtèrent et un silence d’un autre monde tomba sur la plaine. Un silence et un calme tels que ceux qui avaient dû régner sur les premières aubes de la Création. Et dans cette stupéfiante tranquillité, des dizaines de milliers d’âmes, chrétiennes et musulmanes, se contemplaient chacune d’un côté du gouffre pour lequel elles

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