La Religion
retraite bataillait avec le désir de son cœur, mais elle était la plus forte des deux. Du lointain leur parvint un concert d’harmonies martiales : tambours, cuivres et instruments à vent d’une sonorité étrangère vibraient avec un héroïsme poignant, et pour la première fois quelque chose d’humain s’attacha à l’idée que Carla se faisait du Turc. Mattias entendait la musique aussi, et il dressa l’oreille. Elle ressentit à nouveau le poignard du remords pour l’avoir attiré dans ce conflit qu’il cherchait à éviter.
« Pardonnez-moi, dit-elle.
– De quoi ? répliqua-t-il.
– J’ai apporté la mort dans votre sphère.
– C’est une de mes plus vieilles connaissances. Ne vous attardez plus à cela. »
Il pencha son visage vers elle et elle se rendit compte qu’il avait l’intention de l’embrasser sur la bouche. Avant qu’elle ne puisse le maîtriser, son instinct lui fit reculer la tête. Elle le regretta immédiatement, mais c’était fait. Elle n’avait pas embrassé un homme depuis la moitié d’une vie, mais elle pouvait difficilement lui expliquer cela maintenant et lui demander d’essayer à nouveau. Mattias plissa les yeux et se détourna, peu troublé, lui sembla-t-il. Et ce fut comme si ce moment n’avait existé que dans son propre esprit. Il s’adressa à Amparo en espagnol.
« Amparo, quelles nouvelles de tes miroirs divinatoires ? »
Amparo les observait de loin. Voyant qu’elle était incluse dans leurs espérances, son visage s’illumina et elle s’approcha d’eux. Elle semblait plus à l’aise avec Mattias qu’avec toute autre personne que Carla avait connue, y compris elle-même, constata-t-elle avec un serrement.
« Le miroir est sombre, dit Amparo, depuis que nous avons pris le bateau.
– Ainsi les anges nous auraient abandonnés, dit-il, avec un sourire insouciant. Avec ces milliers d’âmes qui les appellent à l’aide, ce n’est pas une surprise. »
Amparo sembla découragée par son échec. Mattias se rallia à elle.
« Si je puis, j’aurais une faveur à demander, dit-il. Il va y avoir beaucoup de bruit et d’explosions toute la journée. Buraq n’est pas entraîné pour la guerre, et il est d’âme sensible. Si tu pouvais passer une heure ou deux en sa compagnie, je t’en serais très redevable. »
Amparo se sentit grandir de cet honneur. Ses yeux brillaient d’adoration. L’attirance de Carla pour Mattias grandit d’une mesure égale, et elle regretta encore une fois d’avoir évité ses lèvres.
« Oh, avec joie ! dit Amparo. Buraq possède la plus noble des âmes.
– Tous les chevaux sont plus nobles que pas mal d’hommes, acquiesça Mattias, mais Buraq est un prince sans égal. Tu le trouveras dans les écuries du grand maître, près du château Saint-Ange. »
Amparo jeta ses bras autour de son cou et l’embrassa en plein sur les lèvres. Carla sentit ses joues devenir brûlantes quand Mattias passa son bras autour de sa taille et la serra, puis la serra encore plus, et Carla dut se détourner. Puis il la lâcha et Amparo recula, rougissant à son tour.
« Je ne suis jamais parti à la bataille avec un baiser aux lèvres, dit-il. Cela crée un admirable précédent. »
Carla étouffa son chagrin. Elle ne savait plus où regarder.
« Deux baisers seraient probablement encore plus bénéfiques », dit Mattias.
Carla le regarda et il sourit. Ses joues la brûlaient encore plus sauvagement et une saute d’humeur perverse la fit presque refuser. Son esprit était agité d’émotions insondables. Elle se força à lever le visage et Mattias se pencha et l’embrassa sur la bouche, aucunement avec la violence à laquelle elle s’attendait, et qu’elle désirait vraiment, mais avec une tendresse qui lui vola les sens. Le moment du contact s’étira pour l’éternité, et elle ferma les yeux alors que des larmes jaillissaient de nulle part, car son baiser semblait sonder les abysses dans lesquels sa féminité avait été exilée si longtemps auparavant. Et à peine sa bouche avait-elle couverte la sienne qu’il se redressa, lui laissant le souvenir d’avoir effleuré un plaisir trop intense pour qu’on puisse jamais en faire le tour. Elle détourna la tête pour maîtriser ses émotions.
« Me voilà protégé de tout mal », dit-il.
Carla se retourna vivement vers lui. « S’il vous plaît, dit-elle, promettez-moi que vous ferez grande attention.
– L’audace
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