La Révolution et la Guerre d’Espagne
faire, étaient prêts « à
tous les abandons, à tous les renoncements, à toutes les défaites ». Dans
leurs conversations privées, les dirigeants de la C.N.T. invoquent, pour
justifier leur prudence, la menace des navires de guerre étrangers dans le
port. Pour eux, en réalité, la question était réglée depuis l’automne
précédent. Ils avaient choisit la collaboration, non la prise du pouvoir. A
Santillan qui, très vite, critique une attitude qu’il a d’abord approuvée,
Garcia Oliver et Vazquez répondent : « Il n’y a rien à faire qu’attendre
les événements et nous y adapter le mieux possible » [281] .
Quant aux dirigeants du P.O.U.M., ils craignaient depuis
longtemps, si l’on en croit Victor Serge, « que l’indécision, la mollesse, l’incapacité
politique des dirigeants anarchistes n’eussent pour résultat un soulèvement
spontané qui, faute de direction, et d’ailleurs déclenché sur provocation,
offrirait aux contre-révolutionnaires l’occasion d’infliger au prolétariat une
saignée ». Se sachant nettement minoritaires, ils ont refusé de prendre le
risque de s’isoler en tentant de déborder la C.N.T. : « Les ordres...
qui émanaient directement de la direction du P.O.U.M., précise Orwell, nous
enjoignaient de soutenir la C.N.T., mais de ne pas tirer, à moins qu’on ne
tirât sur nous d’abord ou que nos locaux fussent attaqués. »
Il est certes permis de penser [282] que la réaction
spontanée des travailleurs de Barcelone pouvait ouvrir la voie à un nouvel élan
révolutionnaire, et qu’elle était l’occasion de renverser la vapeur. L’historien
se contentera de constater que les dirigeants anarchistes ne l’ont pas voulu et
que ceux du P.O.U.M. n’ont pas cru le pouvoir. Le « match nul » annoncé
par Companys n’en était pas un : les Journées de mai sonnent en réalité le
glas de la révolution, annoncent la défaite politique pour tous et la mort pour
certains des dirigeants révolutionnaires.
Conséquences immédiates des journées de mai
La première conséquence visible est, en tout cas, la fin de
l’autonomie catalane, la mainmise par l’État et le gouvernement de Madrid sur
les rouages essentiels de la vie politique et économique du pays. Mais cela ne
semble pas signifier le déclenchement du pogrome redouté par la C.N.T. et le
P.O.U.M. Certes, les armes sont confisquées, journaux et radios placés sous le
contrôle de la censure, mais le délégué à l’Ordre public affirme solennellement
que ses forces « ne considéraient aucun syndicat ni aucune organisation
antifasciste comme des ennemis ». C’était là la position dictée par
Caballero et son ministre de l’Intérieur, Galarza. Dès le 4 mai, en effet, leur
officieux porte-parole, Adelante, de Valence, écrit que les événements
de Barcelone sont une « collusion inopportune et pauvrement préparée entre des
organisations d’orientation différente et d’intérêts syndicaux et politiques
opposés, les uns et les autres à l’intérieur du front général antifasciste de
Catalogne ».
C’est dans cette perspective et ce contexte que se placent
les nombreux appels au calme de la C.N.T. et la déclaration de la Casa C . N.T., le dernier jour des barricades : « La C.N.T. et la F.A.I. continuent
de collaborer loyalement comme par le passé avec tous les secteurs politiques
et syndicalistes du front antifasciste. La meilleure preuve en est que la
C.N.T. continue à collaborer avec le gouvernement central, celui de la
Généralité, et toutes les municipalités. » Pour circonscrire l’incendie,
les dirigeants de la C.N.T. croient qu’il suffit de n’en pas parler, et un
communiqué du 6 mai déclare : « Aussitôt que nous avons connu l’extension
de ce qui s’était produit, nous avons lancé des ordres à toutes les
organisations pour qu’elles maintiennent la sérénité et évitent la propagation
de faits qui pourraient avoir des conséquences fatales pour tous.»
Malheureusement pour la C.N.T., au moment où elle s’efforce de dissimuler l’ampleur
des événements de Barcelone, la presse communiste mène une vigoureuse campagne
contre l’insurrection « préparée par les trotskystes du P.O.U.M. » dans
laquelle elle voit la main de « la police secrète allemande et italienne
». La campagne est si bien faite et la C.N.T. si discrète qu’on verra même Frente
libertario ,organe des milices confédérales de Madrid, épouser
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