La Révolution et la Guerre d’Espagne
Alcalde, du côté révolutionnaire, Domingo Ascaso, le frère de
Francisco et « Quico » Ferrer, le petit-fils de l’illustre pédagogue,
tous tombés dans la rue. Mais on découvre bientôt d’autres victimes. Dans la soirée
du 6, on trouve les cadavres de Camillo Berneri et de son ami et collaborateur
Barbieri. Les deux hommes enlevés chez eux, dans la journée, par des miliciens
de l’U.G.T., ont été abattus à bout portant. Au même moment on note la
disparition d’Alfredo Martinez, le secrétaire du Front de la Jeunesse
révolutionnaire dont on retrouvera le cadavre quelques jours plus tard. L’un
comme l’autre avaient dénoncé les procès de Moscou, stigmatisé comme
« contre-révolutionnaire » l’attitude du P.C., du P.S.U.C. et de
leurs alliés. L’un et l’autre faisaient figure de dirigeants de l’opposition
révolutionnaire. Quoique aucune enquête ne soit possible en ces jours de
désordre – ses conclusions d’ailleurs ne pouvaient guère être publiées –, i1 ne
fait de doute pour personne que Berneri et Martinez ont péri victimes d’un
règlement de comptes politique. Beaucoup pensent qu’il s’agit de la suite de l’avertissement
de la Pravda et de la première intervention brutale des services secrets
russes.
Signification des journées de mai
L’origine des Journées de mai a donné lieu à bien des
discussions et des polémiques. Provocation d’agents fascistes agissant dans les
rangs du P.O.U.M., comme l’a affirmé le P.S.U.C. [276] ? Provocation de
la bourgeoisie catalane appuyée sur les gouvernements occidentaux et destinée à
liquider les positions révolutionnaires en Catalogne, comme le pensent certains
anarchistes [277] ?
Provocation du P.S.U.C., dans le même but, comme le pensent d’autres ?
Il semble que cette discussion soit bien vaine : la
« provocation » d’un, deux ou même dix agents n’a d’efficacité que si
la situation s’y prête. Or elle s’y prêtait, nous l’avons vu. Nous ne croyons
pas que les communistes du P.S.U.C., qui n’agissaient d’ailleurs pas
indépendamment des forces républicaines et du gouvernement catalan, aient voulu
le 3 mai l’épreuve de force. L’assaut du central téléphonique était une étape
de plus dans la restauration de l’État. Nous pensons même que la réaction les a
surpris et que s’ils espéraient se débarrasser par la force des anarchistes
catalans, ils ne s’y attendaient pas ce jour-là – ce qui n’exclut d’ailleurs
pas qu’ils aient, dans les journées suivantes, fait l’impossible pour exploiter
la situation et prendre l’avantage, au fur et à mesure que s’effritait le
mouvement révolutionnaire. En réalité, dans la tension qui régnait en ce début
de mai, l’attaque du central fut effectivement ressentie par les ouvriers
catalans comme une provocation.
Du côté ouvrier, en effet, la réaction fut spontanée, si l’on
veut bien entendre par là que les Comités de défense C.N.T.-F.A.I. des
quartiers y jouèrent le premier rôle en l’absence de toute directive. A elle
seule, la discipline des ouvriers déposant les armes sur les directives de la
C.N.T. le prouverait s’il en était besoin. George Orwell, qui a vécu dans les
rangs du P.O.U.M. les Journées de mai, écrit : « Les travailleurs
descendaient dans la rue par un mouvement spontané de défense, et il n’y avait
que deux choses qu’ils étaient pleinement conscients de vouloir : la
restitution du central téléphonique et le désarmement des gardes d’assaut qu’ils
haïssaient » [278] .
Robert Louzon, dans son étude sur les Journées de mai [279] se déclare
frappé de l’écrasante supériorité des ouvriers en armes, maîtres, pratiquement
sans combat, des neuf dixièmes de la ville. Mais il souligne que cette force ne
fut utilisée que pour la défensive : pendant toute la durée des troubles,
six tanks restent, sans combattre, derrière l’immeuble de la C.N.T. Les canons
de 76 n’ont jamais été pointés, ceux de Montjuich, aux mains des miliciens de
la C.N.T., n’ont jamais, tiré [280] .
Il affirme : « Depuis le premier coup de feu jusqu’au dernier, les Comités
régionaux de la C.N.T. et de la F.A.I. n’ont jamais donné qu’un seul ordre, qu’elles
ont donné sans discontinuer, par la radio, par la presse, par tous les moyens,
l’ordre de cesser le feu.» Pour lui, les dirigeants de la C.N.T. redoutaient
par-dessus tout un pouvoir dont ils ne savaient que
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