La Révolution et la Guerre d’Espagne
affermissent l’esprit de
solidarité chez les paysans, les incitant à plus d’efforts et à une plus grande
activité » [118] .
Sous la direction des anarchistes, en effet, le mouvement de
collectivisation englobe plus des trois quarts de la terre, presque
exclusivement en communautés affiliées à la C.N.T.: on en compte plus de 450,
groupant environ 430 000 paysans. Les « collectivistes » sont,
de loin, la majorité : la totalité à Penalba, Alcaniz, Calanda, Oliete, 2 000
sur 2 300 à Mas de La Matas, 3 700 sur 4 000 à Aleorlza. Les petits propriétaires
peuvent théoriquement subsister à condition de cultiver eux-mêmes leurs terres
et de ne pas utiliser de main-d’œuvre salariée. Le bétail pour la consommation
familiale reste propriété individuelle. La Fédération paysanne fait de gros
efforts pour organiser des fermes témoins, des pépinières, des écoles
techniques rurales. Les défenseurs des thèses collectivistes affirment que les
rendements ontaugmenté de 30 à 50 % entre 36 et 37, mais il est
impossible de vérifier ces chiffres qui ne s’appuient pas sur des statistiques
rigoureusement contrôlées.
Le plus curieux, quoique sans doutele moins
significatif, de l’expérience libertaire d’Aragon, fut l’application
systématique des principes et théories anarchistes sur l’argent et les
salaires. Le salaire est, là encore, un salaire familial uniforme : 25
pesetas par semaine pour un producteur isolé, 35 pour un couple avec un seul
travailleur, 4 pesetas de plus par enfant à charge. Mais il n’y a pas d’argent,
seulement des bons – les vales – échangeables contre des produits dans
les magasins de la collectivité. Le système fonctionne. L’expérience, pourtant,
est peu concluante, puisque les collectivités, pour se fournir dans le reste de
l’Espagne, doivent, bon gré mal gré, utiliser l’argent théoriquement
supprimé...
L’anarchiste Souchy décrit en ces termes la vie dans le
village de Calanda, dans l’Aragon libertaire :
« Sur la place du village, en face de l’église, il y a
une fontaine de granit toute neuve. Sonsocle porte gravées les
initiales de la C.N.T.-F.A.I. Ce qui fut l’église est maintenant un magasin d’alimentation.
Tous les rayons ne sont pas encore achevés.
« La boucherie est installée dans une dépendance de l’église,
installation hygiénique, coquette, comme le village n’en a jamais connue. On n’y
achète rien avec de l’argent : les femmes reçoivent de la viande en
échange de bons... car elles appartiennent aux collectivités, et ceci suffit
pour obtenir de la viande et autres aliments.
« Le village a 4 500 habitants. La C.N.T. domine. Sept
cents chefs de famille y adhèrent. La collectivité groupe 3 500 membres,
les autres sont des individuels... Le village, propre et aimable, est riche.
Dans la caisse, il y a 23 000 pesetas. Il produit de l’huile (annuellement
750 000 kilos), de blé, des pommes de terre et des fruits... Autrefois, Il
y avait quelques grands propriétaires. Le 19 juillet ils furent expropriés.
« Collectivistes et individuels vivent pacifiquement
côte à cote. Il y a deux cafés dans le village : un pour les individuels,
un pour les collectivistes... Les tissus et les vêtements ne manquent pas, car
on a échangé de l’huile avec une usine de textile de Barcelone.
« Le travail est intense et les bras manquent, car de
nombreux Jeunes, tous membres de la C.N.T., sont au front... Ici tout est
collectivisé, à l’exception des petits boutiquiers qui ont voulu rester
indépendants. La pharmacie appartient à la collectivité ainsi que le médecin.
Celui-ci ne reçoit pas d’argent. Il est entretenu comme les autres membres de
la collectivité.
« Le meilleur bâtiment du village, un ancien couvent
est pour l’école, qui fonctionne suivant les méthodes de Ferrer. Autrefois, il
n’y avait que huit instituteurs. La collectivité en a nommé dix de plus.
« Les individuels ont également profité de la
collectivisation : Ils ne paient ni loyer ni électricité. Le village
possède sa propre centrale électrique, alimentée par une chute d’eau.
« Les collectivistes sont contents. Autrefois, les
paysans souffraient de la faim en avril, mai et juin. A présent, cela va mieux.
« Autrefois, il existait une succursale bancaire.
Aujourd’hui, elle est fermée. Soixante-dix mille pesetas ont été confisquées et
affectées par la municipalité à l’achat
Weitere Kostenlose Bücher