La Révolution et la Guerre d’Espagne
de produits.
« Les paysans travaillent par groupes de dix. La terre
est répartie en zones. Chaque groupe, ayant un délégué à sa tête, travaille sa
zone. Les groupes se forment selon les affinités. La collectivité est une
grande famille qui veille sur tous » [119] .
A ce tableau optimiste, sinon idyllique, opposons pourtant
celui qui fut tracé a posteriori par le journal communiste Frente rojo :
« Sous le règne de feu le Conseil d’Aragon, ni les citoyens
ni la propriété ne pouvaient compter sur la moindre garantie. Pas un paysan qui
n’ait été forcé d’entrer dans les collectivités. Celui qui résistait souffrait
dans son corps et sa petite propriété les sanctions de la terreur. Des milliers
de paysans ont émigré, préférant quitter leur terre que de supporter les mille
méthodes de torture du Conseil... La terre était confisquée, les bagues, les
médailles et même les casseroles étaient confisquées, et même le grain, et les
aliments cuits, et le vin pour la consommation familiale... Dans les conseils
municipaux s’étaient installés des fascistes connus et des chefs phalangistes.
Avec des cartes syndicales, ils opéraient comme maires et conseillers
municipaux, comme agents de l’ordre public, ces gens issus du banditisme et qui
en faisaient une profession et un régime de gouvernement » [120] .
La vérité doit sans doute se trouver à égale distance de la
peinture rose du paradis libertaire de Souchy et du noir tableau de l’enfer
anarchiste de Frente rojo.
Les collectivisations et le problème du pouvoir
Les divergences sur la portée et la signification des
collectivisations recouvrent en réalité des divergences d’ordre politique. Les
partisans du Front populaire, républicains, socialistes, communistes,
pensaient, avec José Diaz, qu’elles avaient, dans les premiers moments, « leur
justification » dans le fait que les grands industriels et propriétaires
fonciers avaient abandonné les usines et les champs et qu’il fallait les faire
produire » [121] .
Tous ceux qui estiment que l’Espagne de 1936 ne vit pas une révolution sociale
mais doit rester une république démocratique et parlementaire, condamnent
« collectivisations » et « syndicalisations » qui
constituent, à leurs yeux, un danger pour l’unité de front entre la classe
ouvrière et ses alliés paysans et petits bourgeois. Le parti communiste met l’accent
sur la nécessité de défendre le « petit industriel » et le « petit
commerçant ». « Se lancer dans de tels essais, déclare José Diaz, est
absurde et équivaut à se faire les complices de l’ennemi » [122] .
Or, malgré l’active participation de l’U . G.T. dans le
Levante, c’est essentiellement la masse des militants de la C.N.T. qui prend la
responsabilité des collectivisations et des syndicalisations. Maîtres du
pouvoir local, du jour au lendemain après l’effondrement de l’État républicain
et de ses forces de répression, ils sont immédiatement passés, selon le schéma
tracé par Malatesta, à la destruction du régime de la propriété bourgeoise et,
malgré la prudence de leurs dirigeants – no hay comunismo libertario –
se sont attelés à la construction de la nouvelle société libertaire.
Or c’était là une tâche infiniment complexe, à laquelle ils
n’étaient pas préparés et qu’ils ont dû aborder armés seulement de notions
simplistes et de principes généraux utilisés jusque-là dans leur propagande et
leur critique du système capitaliste. Faute de directives précises en face d’une
situation imprévue, des syndicats, des militants, prennent des initiatives,
sans autre critère que ce qu’Andrade appelle fort justement la « fantaisie
anarchiste égalitaire ». Or, il ne suffisait pas de faire des usines des
propriétés collectives, des « biens sociaux » conformément à une expression
fréquente, pour mettre sur pied une nouvelle économie et la faire fonctionner.
Le problème du crédit restait entier. Il fallait de l’argent, des devises pour
les achats à l’étranger, un fonds de roulement pour les entreprises
collectivisées. Le gouvernement de Madrid, détenteur de l’or, refuse tout
crédit, même lorsque la Catalogne offre en garantie le milliard de dépôts de
ses Caisses d’épargne. La plupart des entreprises collectivisées vivent donc
sur les disponibilités saisies lors de la révolution. Les Comités-gouvernement
essaient de les secourir au
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