La Révolution et la Guerre d’Espagne
fusillés. Car il reste clair, même pour
un paysan d’Aragon, que tout le monde ne voit pas le problème agraire avec les
yeux de Durruti. Début août, un décret du gouvernement Giral donne aux fermiers
et métayers cultivant une terre depuis six ans au moins le droit de l’acheter à
terme ou par fermages amortissables. Même si, à cette date, ce décret n’a
aucune portée, puisque personne ne paie plus ni loyer ni fermage, il signifie
tout de même que la propriété privée existe toujours et qu’il est un
gouvernement pour reconnaître ses droits, quand bien même tous les titres ont
été brûlés dans un grand feu de joie sur la place du village. Le temps qui
passe souligne bientôt cette évidence : le paysan a pris les terres, mais,
après le premier moment d’enthousiasme, il n’est sûr ni de bien les tenir ni d’y
avoir gagné. Il tourne volontiers son animosité contre les miliciens qui
réquisitionnent, imposent ou chapardent et n’est plus très sûr que les nouveaux
« maîtres » aient réellement voulu améliorer son sort.
La révolution, si vigoureuse en ses débuts dans les
campagnes, semble s’y enliser faute d’une véritable direction.
Les efforts de direction économique
L’insurrection a brisé toutes les structures économiques et
sociales : les régions industrielles sont coupées de leurs fournisseurs en
matières premières, les régions productrices de leurs marchés. Faute de
matières premières, les usines textiles de Catalogne ne tourneront bientôt que
trois jours par semaine et les paysans du Levante se demandent comment ils vont
écouler une récolte excellente. Les villes ne sont plus ravitaillées et la
famine menace. Quand la grève se termine, la remise en marche est lente,
patrons et cadres sont en fuite, emprisonnés ou morts, une partie des ouvriers
sont au Front, et d’autres dans les organismes de l’arrière. La tâche est
immense : il faut assurer le ravitaillement, redistribuer les forces
productrices, réorganiser les marchés. Il faut surtout équiper et armer les
milices.
L’autorité des syndicats et des Comités permet de résoudre
les difficultés immédiates. La Junte de Bilbao émet des assignats gagés sur les
vivres. Barcelone vit quinze jours sans argent, sur la base des réquisitions et
des bons. Ce sont les syndicats qui y prennent en charge les 4 000 chauffeurs
de taxi en chômage – depuis la réquisition de leurs instruments de travail – et
arrivent à les reclasser. C’est une décision du Comité central appuyée par l’autorité
de la C.N.T. et appliquée par les Patrouilles de contrôle qui débarrasse les
trottoirs de Barcelone de la nuée de vendeurs et de marchands qui les obstruent
après les journées révolutionnaires. Après quelques jours, les villes sont
ravitaillées. A Madrid, dès le 25 juillet, un Comité mixte de conseillers
municipaux et de travailleurs des Halles fait distribuer 20 000 rations
quotidiennes. A Barcelone, le Comité central confie au rabassaire Torrents la
responsabilité du Comité du ravitaillement : le 24 juillet, il interdit
toute réquisition individuelle, fait ouvrir les magasins et recenser les
stocks.
Grâce à l’appui des Patrouilles de contrôle et de la
Commission d’investigation, aux rapports des Comités ouvriers de gestion et de
contrôle, il peut disposer de renseignements sérieux et exercer un contrôle
effectif, punissant de lourdes amendes les infractions : l’essentiel du
ravitaillement des miliciens et des habitants des villes sera assuré sans
hausse sensible des prix. Le Comité de ravitaillement intervient d’ailleurs
directement dans le circuit commercial, assumant à Barcelone l’approvisionnement
des hospices, des hôpitaux, des restaurants populaires : il nourrit au
mois d’août jusqu’à 120 000 personnes par jour, dans les restaurants
ouverts sur présentation d’une carte syndicale, parvenant en septembre à
ramener ce chiffre à celui – plus raisonnable – de 30 000, miliciens non
compris, bien entendu. Ce sont des Comités semblables, le plus souvent
C.N.T.-U.G.T. qui, à Valence, à Malaga, aux Asturies et dans la plupart des
villes prennent en charge miliciens et chômeurs, nouent directement les
contacts avec les Comités de village. Tous n’ont pas cependant l’autorité du
Comité du ravitaillement de Barcelone, à la fois Intendance et Contrôle
économique, dont les décisions ont force de loi sur les ports et marchés
Weitere Kostenlose Bücher