La Révolution et la Guerre d’Espagne
de la lutte même s’il s’intitule «
gouvernement », car l’essentiel est d’abord de gagner la guerre. Le 22
octobre, Solidaridad obrera lève un coin du voile qui recouvre les
négociations en affirmant qu’il « manque au gouvernement que préside Largo
Caballero le concours des forces prolétariennes » de la C.N.T. et en
dénonçant les groupes qui « refusent la participation de forces syndicales qui
exigent simplement leurs droits dans la proportion qui leur est due ».
Selon Caballero, les anarchistes demandent six portefeuilles, alors qu’il ne
leur en offre que quatre. Il n’est pas question de programme : le 30
octobre, Caballero affirme dans une interview au Daily Express :«
D’abord, gagner la guerre, et après nous pourrons parler de révolution ».
Le 23 du même mois, Juan Peiro, dans un discours à Radio C.N.T.-F.A.I., avait
précisé la nouvelle position anarchiste, en tous points identique :
« Ceux qui parlent, dès aujourd’hui, d’implanter des systèmes économiques
et sociaux achevés sont des amis qui oublient que le système capitaliste a...
des ramifications internationales et que notre triomphe dans la guerre dépend
beaucoup de la chaleur, de la sympathie, de l’appui qui nous viendra de l’extérieur... »
La discussion sur le nombre des portefeuilles perd toute signification ;
le 4 novembre, Largo Caballero remanie son ministère pour y faire entrer quatre
représentants de la C.N.T., Garcia Oliver, qui devient ministre de la Justice,
Federica Montseny, de la Santé, Juan Lopez, du Commerce, Juan Peiro, de l’Industrie.
C’est à Santillan, adversaire de la collaboration, qu’allait revenir la tâche
de justifier cette entrée du point de vue de la théorie (13 septembre) :
« L’entrée de la C.N.T. au gouvernement central est un
des faits les plus importants qu’ait enregistré l’histoire de notre pays. La
C.N.T. a toujours été, par principe et par conviction, anti-étatiste et ennemie
de toute forme de gouvernement... Mais les circonstances... ont changé la
nature du gouvernement et de l’État espagnols... Le gouvernement a cessé d’être
une force d’oppression contre la classe ouvrière de même que l’État n’est plus
l’organisme qui divise la société en classes. Tous deux cesseront encore plus d’opprimer
le peuple avec l’intervention de la C.N.T. dans leurs organes ». Ainsi, à l’épreuve
de la lutte pour le pouvoir, les dirigeants anarchistes retrouvent-ils le
langage des sociaux-démocrates les plus réformistes... Pour se justifier, plus
tard, aux yeux de ses amis, Garcia Oliver, l’un des « Trois
Mousquetaires », ancien forçat devenu ministre de la Justice, écrira :
« La bourgeoisie internationale refusait de nous fournir les armes dont
nous avions besoin... Nous devions donner l’impression que les maîtres étaient
non les Comités révolutionnaires, mais le gouvernement légal : faute de quoi
nous n’aurions rien du tout. Nous avons dû nous plier aux inexorables
circonstances du moment, c’est-à-dire accepter la collaboration
gouvernementale.» Et Santillan, le premier à justifier cette politique en 1936,
sera aussi le premier, en 1940 , à en faire, après la défaite, l’amère
critique : « Nous savions qu’il n’était pas possible de triompher
dans la révolution si on ne triomphait pas, avant, dans la guerre. Nous avons
sacrifié la révolution elle-même sans comprendre que ce sacrifice impliquait
aussi le sacrifice des objectifs de la guerre » [179] .
Un facteur poltique : l’aide russe
Du gouvernement ouvrier projeté à la fin d’août au
gouvernement de Front populaire réalisé début novembre avec la participation
des anarchistes, le cheminement a été rapide. C’est en grande partie parce que
les dirigeants socialistes de gauche, comme ceux de la C.N.T., ont en vue,
lorsqu’ils parlent de l’aide étrangère, une autre aide que celle – problématique
– des pays occidentaux. Le grand événement du mois de septembre, qui coïncide
avec la formation du gouvernement Caballero et rend vraisemblable le rôle prêté
dans la « crise » à Rosenberg, est la décision de l’U.R.S.S. de fournir à
la République espagnole une aide matérielle.
C’est en effet au début de septembre qu’ont été prises à
Moscou les dispositions techniques en vue de la réalisation de ce soutien. Les
premiers officiers russes sont sur place, en même temps que Rosenberg. Les
premiers avions
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