La Révolution et la Guerre d’Espagne
arriveront en octobre. C’est l’aide russe qui va sauver Madrid
en permettant l’équipement en armes modernes et en munitions des milices et de
la jeune « armée populaire » mise sur pied par le gouvernement de Largo
Caballero. C’est elle aussi qui, désormais, dans une large mesure, conditionne
la politique du gouvernement et des partis du Front populaire, sur la base des
conseils ou des exigences dictées aussi bien par les représentants officiels de
l’U.R.S.S., Rosenberg et le consul général à Barcelone, Antonov-Ovseenko, que
par ses porte-parole officieux, délégués du Komintern, ou dirigeants du parti
communiste ou du P.S.U.C., qui en tirent popularité et autorité. Une nouvelle
période commence sous le drapeau de l’ « antifascisme ».
Le gouvernement Caballero et la restauration de l’État
Il est remarquable que Largo Caballero, si vivement critiqué
dans son propre parti, ait pu, en quelques semaines, devenir l’homme
providentiel, la « dernière carte » selon l’expression de Prieto
lui-même [180] .
La défection des Jeunesses socialistes a porté à sa position personnelle un
coup assez rude et ce sont, en définitive, l’impuissance et le discrédit des
républicains, le refus ou l’incapacité des anarchistes de prendre le pouvoir
qui en font le « sauveur suprême ». Il est mal vu de la plupart des
dirigeants des partis, mais sa popularité de vieux lutteur en fait le seul
dirigeant capable de servir de trait d’union entre modérés et révolutionnaires,
de rallier les travailleurs à un gouvernement régulier, imposant son autorité
aux partis, aux syndicats, aux comités.
Il réalisera effectivement ce que Giral et Prieto n’avaient
pu faire avant lui : en rajeunissant les institutions de l’État par la
légalisation de certaines conquêtes révolutionnaires, l’incorporation des
organismes et des hommes du pouvoir révolutionnaire, il parvient à les sauver
et à réaliser cette gageure : la reprise en mains par l’État républicain
de tous les groupes armés, la création d’une Armée et d’une Police, en un mot l’instauration
d’un pouvoir unique et fort sous l’égide de la République et qui sera pourtant,
aux yeux de la majorité des ouvriers révolutionnaires, leur pouvoir, le
« pouvoir populaire ». Son tour de force consiste à avoir liquidé le
« deuxième pouvoir » en donnant l’impression qu’il consacrait sa
victoire : la présence à ses côtés de Garcia Oliver et de Juan Lopez, qui
avaient incarné le pouvoir révolutionnaire en Catalogne et au Levante, semble
garantir le caractère révolutionnaire de ses intentions. Il ne détruit pas les
autorités régionales, mais semble vouloir les unir en les
« fédérant ». Les Basques et les Asturiens gardent la responsabilité
de leur front, la C.N.T. celle du front d’Aragon et de Teruel ; la Junte
de Madrid aura bientôt celle du front du Centre. Mais la responsabilité de l’organisation
militaire passe à une « Junte des milices » où partis et syndicats
sont tous représentés. Deux fois par semaine, autour de Largo Caballero, se
réunit le Conseil suprême de la Guerre par lequel chaque tendance politique et
syndicale est associée à la conduite des opérations [181] .
Car ce sont les revers militaires qui, aux yeux de tous, ont
exigé l’unification du pouvoir et c’est sur l’unification du commandement
militaire qu’il insiste dès l’abord :
« Notre première tâche, déclare-t-il à Koltsov, est d’établir
l’unité de commandement et de pouvoir. La direction des troupes combattantes de
l’Espagne tout entière, Catalogne comprise, est maintenant concentrée entre les
mains du ministre de la Guerre. » Or, cet accent mis sur le commandement
militaire est déjà une option politique : dans une interview au Daily
Express (30 octobre), il la précise en ces termes : « La guerre
civile, par définition, a un caractère social et, naturellement, dans le cours
de la guerre, peuvent surgir des problèmes de nature économique et sociale...
La solution en sera subordonnée à un objectif : gagner la guerre » [182] .
Le gouvernement contre les Comités
Pour réaliser ce programme, le gouvernement doit d’abord s’attaquer
aux Comités. Théoriquement, sa tâche peut paraître facile : les Comités
sont formés de représentants des partis et syndicats qui participent au
gouvernement, soutiennent son programme, appuient son action. En
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