La Révolution et la Guerre d’Espagne
faire évader ses capitaux. Toutes ces
entreprises sont au bord du désastre : dans les bureaux du ministère s’entassent
plus de 11 000 demandes de crédit, dont aucune ne sera satisfaite... Peiro
propose à Caballero un décret de collectivisation qui n’est pas accepté, car il
signifierait une atteinte à la propriété industrielle et par conséquent le
risque de représailles occidentales et de resserrement du « blocus des
armes ». Les projets de Peiro se réduiront finalement à un décret
permettant l’ « intervention » du gouvernement dans les
industries indispensables à la guerre.
En Catalogne, le Conseil de la Généralité ira plus loin,
sous la pression de la C.N.T. et du P.O.U.M. qui ont fait de la
« légalisation » des collectivisations la condition de la liquidation
du pouvoir révolutionnaire. Le décret du 24 octobre prévoit la collectivisation
des entreprises employant plus de 200 salariés et le contrôle des comités
ouvriers pour les autres. Sensible aux arguments de politique extérieure, les
représentants de la C.N.T. et du P.O.U.M. acceptent l’indemnisation des
actionnaires étrangers. Mais l’indemnisation des actionnaires espagnols est
admise aussi, sans que le montant en soit fixé : ainsi reste ouverte, dans
la perspective d’une restauration de la légalité républicaine, celle de la
perception par les anciens actionnaires de véritables dividendes sur les
entreprises collectivisées. La C.N.T. et le P.O.U.M. avaient vivement réclamé l’organisation
du monopole du commerce extérieur, corollaire à leurs yeux de la
collectivisation et surtout condition d’une planification sans laquelle elle ne
pouvait que mener au chaos. Elles sont battues sur ce point aussi, et le
commerce extérieur reste libre.
La question du crédit, véritable « goulot d’étranglement »
des collectivisations, ne sera pas non plus réglée conformément aux vues des
révolutionnaires. C’est sa crise, nous l’avons vu, qui menace le fonctionnement
même des entreprises collectivisées. Le Conseil de la généralité de Catalogne
refuse la création de la Banque pour l’Industrie et le Crédit demandé par la
C.N.T. et le P.O.U.M. Le contrôle des banques par le syndicat U.G.T. à Madrid
permet d’éviter la fuite des capitaux, mais les banques peuvent réserver leurs
crédits aux seules entreprises privées et même prélever des commissions
exorbitantes sur les transferts de fonds ordonnés par le gouvernement. Juan
Peiro propose la création d’une Banque industrielle, destinée à financer l’activité
des usines collectivisées. Mais le ministre des Finances, Negrin, s’y oppose,
comme il s’opposera [198] à la demande d’un crédit de 30 millions de pesetas que le ministre de l’Industrie
juge indispensable pour faire face aux besoins les plus urgents de l’industrie
collectivisée. Ainsi se trouve limité, puis arrêté, le mouvement de
collectivisation, le gouvernement restant maître des entreprises par l’intermédiaire
des banques. Petit à petit, il affirme son autorité, dans les entreprises incautadas comme les intervenidas, par le choix qu’il fait des contrôleurs et
des directeurs. Souci d’efficacité et préoccupations politiques l’amènent
souvent à remettre en place, avec d’autres titres, anciens propriétaires ou
cadres de maîtrise.
C’est une politique semblable qui prévaut à la campagne. Les
mesures gouvernementales ne comblent pas le fossé qui risquait de se creuser
entre la révolution agraire et la défense républicaine. Le décret pris par
Uribe le 7 octobre 1936 est très en retrait par rapport à la situation réelle
dans les campagnes. Muel sur le problème décisif des baux et des redevances,
qui restent seulement réglés de fait par une suppression qui n’a rien de légal,
il traite de l’ « expropriation sans indemnisation et en faveur de l’État »
des propriétés agricoles appartenant à des individus liés à la rébellion, les
paysans étant laissés libres de décider si l’exploitation en sera collective ou
individuelle. Il ne légalise ainsi qu’une partie des expropriations : le
nom des propriétaires frappés devra paraître à l’officiel. Il laisse
ainsi de graves problèmes en suspens. Des propriétaires qui n’ont aucunement
trempé dans la rébellion ont eu leurs terres expropriées. D’autres aussi, qui
avaient été considérés comme factieux, mais qu’un tribunal peut
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