La Révolution et la Guerre d’Espagne
blanchir.
Certains héritiers, enfin, peuvent faire valoir leurs droits. Des milliers de
paysans désormais vont se demander s’ils ne seront pas contraints de rendre les
terres qu’ils ont prises au cours de l’été 1936.
Le recul des anarchistes
L’œuvre de restauration de l’État accomplie par le
gouvernement Largo Caballero n’a été possible qu’avec la participation des plus
populaires des leaders de la C.N.T.-F.A.I. et grâce à l’appui de ses organismes
dirigeants. Mais, pour les militants, le tournant est d’autant plus brutal que
les explications ont été plus sommaires. Si, comme nous l’avons vu, certains
responsables, comme Santillan, ne se sont résignés que la mort dans l’âme à la
liquidation du pouvoir révolutionnaire, d’autres vont, très vite, beaucoup plus
loin et piétinent allègrement ce qui avait été jusque-là le credo anarchiste [199] . Les dirigeants
de la C.N.T. répètent volontiers que Durruti était prêt à « renoncer à tout,
sauf à la victoire », et pour beaucoup, ce « tout » signifie les
conquêtes révolutionnaires [200] .
Les ministres anarchistes sont devenus de vrais ministres [201] et le ministère
de la Propagande parle de « El excelentissimo señor ministro de
Justicia, camarada Garcia Oliver ». Les officiers et policiers anarchistes
parlent et agissent désormais plus en officiers et en policiers qu’en
anarchistes : Eroles, commissaire de la Sûreté, affirme que son plus
« fervent désir » a été réalisé avec la création d’un corps unique de
la Police, et Mera, ignorant désormais les « camarades », affirme ne
plus vouloir connaître que « les capitaines et les sergents ».
Bien des responsables en ressentent un profond malaise : ils
se souviennent du temps – pas très lointain – où le juge, l’officier, le
ministre, incarnaient l’ennemi de classe. Ils ne contestent pas la tactique de
collaboration, mais critiquent volontiers le zèle apporté dans son application.
Ainsi Santillan, qui se voit retirer ses responsabilités, se tient finalement à
l’écart, sceptique et amer, impuissant face à l’appareil de sa propre
organisation. Les militants, ont, en général, moins de scrupules et de crises
de conscience. Plus que jamais, organisations locales ou régionales, individus
même prennent des initiatives sans tenir compte de la politique confédérale. Le
gros des opposants, les « sectaires », ne perdent pas leur temps à
argumenter et à élaborer des thèses. Ils agissent, et leur désaccord prend les
formes les plus variées, de la désertion à la manifestation armée en passant
par l’attentat. Le 1 er octobre, la Colonne de Fer, formée à Valence
et encadrée par des anarchistes, quitte le front de Teruel pour imposer à
Valence sa conception de l’ « ordre révolutionnaire ». Elle
attaque et désarme les gardes, envahit le tribunal dont elle détruit les
archives, descend dans les boîtes de nuit et les cabarets, dépouillant les
clients de leurs bijoux et de leurs portefeuilles. Il faudra une véritable
bataille rangée pour en venir à bout : parmi les morts, on relève un
dirigeant socialiste, José Pardo Aracil. Le 30 octobre, toujours à Valence, l’enterrement
d’un des chefs de la Colonne de Fer, Ariza Gonzalez – peut-être abattu en
représailles – se transforme en émeute armée. Finalement encerclés place de
Tétouan par des unités communistes armées de mitrailleuses, les manifestants
subissent de lourdes pertes, laissant une cinquantaine de morts. Ici ou là,
jour après jour, éclatent des incidents de ce genre, selon un schéma presque
toujours identique : une explosion de violence aveugle des anarchistes,
souvent sans conviction et en tout cas sans objectif précis, à laquelle forces
de police et unités communistes répondent durement, poursuivant leur avantage
pour finalement démanteler les positions anarchistes. C’est le cas de Cuenca,
où Borkenau avait vu, au mois d’août 36, une véritable « forteresse
anarchiste » et qu’il retrouve en février « bastion de l’U.G.T. ».
Un exemple caractéristique du désarroi anarchiste est donné
dans la diversité des réactions lors du départ du gouvernement pour Valence,
aux premières heures de l’attaque de Madrid. Les ministres anarchistes qui ont
combattu cette décision l’acceptent finalement et suivent Caballero. Solidaridad
obrera n’hésite pas à affirmer que « l’autorité morale
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