La rose de Raby
main.
—
Certainement pas. Je dis ce que j'ai à dire. Thomas Becket est peut-être un saint et un martyr, et notre fondateur saint François en est certainement un. Mais Atworth? C'était un soldat, un marchand, un homme qui mangeait et buvait, qui a fait tout ce qu'il voulait jusqu'à ce que cela lui donne un goût de cendre dans la bouche.
Gervase fît grossièrement claquer ses lèvres.
—
Vous vous intéressiez beaucoup à lui! cria presque Jonquil. Vous cherchiez ardemment à lui plaire. Lui avez-vous dit que vous étiez hypocrite à ce point?
Kathryn intervint doucement :
—
Vous a-t-il jamais laissé entendre qu'il s'empoisonnait?
— Quoi?
Anselm leva les mains comme si Kathryn avait annoncé le retour du Messie.
—
Ce n'est pas rare, poursuivit Kathryn. Voyons, frère Simon, puisque vous êtes infirmier, vous tenez un registre précis des substances que vous donnez à la communauté, n'est-ce pas ?
L'infirmier, de toute évidence, n'était pas à son aise. Il se contenta de hocher la tête en rougissant.
— Vous avez de l'arsenic ?
— Oui, bien sûr, balbutia-t-il.
— Comme beaucoup de médecins, vous le prescrivez en grains minuscules en cas de maux de ventre. Et vous en avez prescrit au bienheureux Atworth?
L'infirmier l'admit à regret :
—
Depuis qu'il était ici, il se plaignait de crampes, coliques, vomissements et diarrhées. L'infirmier qui était au couvent avant moi lui en avait donné, aussi ai-je continué : il s'agissait de doses infimes qui n'auraient pas tué un moineau. Qu'essayez-vous d'insinuer? Que j'ai augmenté les doses? Vous pouvez vérifier mon registre...
—
Vous auriez pu me dire cela plus tôt, rétorqua gentiment Kathryn.
Manifestement, Anselm et Jonquil étaient au courant, Quant à Gervase, il riait sous cape au point que ses épaules tressautaient.
—
J'ai parlé d'arsenic dans l'église, poursuivit Kathryn, et vous n'avez rien dit. Je vous en prie, frère Simon, ne jouez pas les innocents avec moi. Vous connaissez très bien les propriétés de cette substance. Vous vous êtes peut-être même douté de l'aspect qu'aurait le corps, une fois exhumé, et avez pu en parler à vos collègues.
—
Ce n'était que des quantités minuscules, balbutia Jonquil. Il se peut que ce soit tout de même l'œuvre de Dieu...
—
Cet arsenic est-il conservé en lieu sûr? demanda sèchement Kathryn.
—
Oh oui, autant que le vôtre, Maîtresse Swinbrooke, rétorqua frère Simon avec rancœur, dans un coffre pourvu de trois cadenas, dont seuls moi et mon aide détenons les clés. Il ne peut pas être ouvert par une seule personne, ni, en vérité, par nul autre que nous.
—
Avez-vous une bibliothèque? Un recueil des médicaments ? interrogea Kathryn.
—
Bien sûr, nous avons les œuvres des grands maîtres : Hippocrate, Galien.
Désirez-vous les voir?
—
Ce ne sera pas nécessaire. Cette citation vient d'un traité que mon père acheta à Salerne : « L'arsenic, en toutes petites quantités, est parfois utilisé pour les maladies du ventre. » C'est assez courant pour les poudres de ce genre : la belladone est parfois utilisée comme produit de beauté, la digitale pour les troubles du cœur. Maintenant, certaines potions sont éliminées par le corps. D'après mon père et d'autres, l'arsenic est différent; comme c'est une substance minérale, le poison s'intègre aux humeurs du corps, à la chair et à ses fluides. Il peut être bénéfique pour le ventre, mais sur plusieurs mois, voire des années, ses effets nocifs s'accumulent.
—
Dans ce cas, pourquoi le bienheureux Roger n'est-il pas mort plus tôt?
interrogea Anselm.
Kathryn regarda Venables, qui écoutait attentivement, tête légèrement tournée comme s'il avait du mal à entendre.
—
L'arsenic est un mystère, avoua Kathryn, une épée à double tranchant ; d'un côté, il peut soigner, du moins le dit-on, cependant, à la longue, il tue.
En vérité, si l'on en prend souvent et assez longtemps, l'arsenic a même la propriété de rendre plus résistante à ses effets la personne qui l'absorbe.
—
Je ne comprends pas, Maîtresse Swinbrooke, interrompit Venables. Je ne connais rien aux drogues.
—
C'est comme entraîner un cheval au combat, intervint Colum. On commence par lui faire à peine sentir l'odeur du sang, et sa peur diminue, et ensuite on le fait progresser petit à petit. J'ai connu des dresseurs de chevaux de guerre qui, à la fin, plaçaient un cadavre
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