La rose de Raby
téméraire, qui fourrageait sans se gêner dans le pré. Et puis les rats avaient disparu. Après avoir consulté un ouvrage à la bibliothèque, Timothy avait compris que c'était l'œuvre sanglante de ses vieilles amies, les hermines. Il avait interrogé Eadwig sur l'infestation. Celui-ci avait même tué un rat pour le lui donner à dessiner. Timothy, après avoir jeté un coup d'œil au corps ensanglanté, en grande partie carbonisé, n'en avait pas voulu.
—
Une horrible créature du démon! s'était-il exclamé, mais il avait dessiné l'animal de mémoire.
Il alla à sa table et prit le cahier de parchemin : les pages crissèrent. Ah, il était là, avec sa tête noire et son long museau malfaisant, ses yeux sombres luisants et sa queue démoniaque.
À cause de la fourrure calcinée, Timothy avait demandé à Eadwig s'il avait brûlé le rat.
—
Je ne sais pas de quoi vous parlez, avait répondu le frère convers. Je me trouvais dans une des dépendances. L'une de ces sales bêtes a surgi, alors je l'ai cognée avec une bûche.
Se rappelant sa surveillance à la fenêtre, frère Timothy y retourna. Les ombres s'allongeaient sur le pré, et la cloche sonnait pour le saint office, mais frère Gervase n'avait pas réapparu. Qu'est-ce qui n'allait pas? Timothy sentit un frisson glacé lui parcourir le dos. Pourquoi Gervase restait-il là-bas ? Le vieux religieux se creusa la tête. Les ruines, bien sûr ! Des bâtiments s'élevaient ici bien avant que le couvent ne soit construit : une maison de marchand avait été donnée à l'ordre quelque deux cent cinquante ans plus tôt : ses caves et ses fondations, qui n'étaient plus que des fosses humides, existaient encore, derrière les buissons du fond du jardin. Frère Timothy se souvenait de la porte cloutée de cuivre, en bas de l'escalier à demi effondré.
Alcuin, le vieux bibliothécaire, lui avait parlé de ces ruines. Jadis, avant même l'arrivée des franciscains à Cantorbéry, l'endroit était un parc appartenant à un noble important, qui, à son tour, avait bâti sur des fondations encore plus anciennes. Gethsémani était son jardin, et sa maison s'élevait là où étaient maintenant construits les entrepôts du couvent.
Peut-être Gervase avait-il à faire là-bas ?
Frère Timothy s'assit sur sa chaise rembourrée placée à dessein près de la fenêtre pour qu'il puisse se reposer tout en montant la garde. Il connaissait si bien ces lieux ! Il somnola un court moment. Et si frère Gervase revenait? Il se leva et ouvrit la petite porte-fenêtre garnie de treillis. L'air du soir fraîchissait, mais les fleurs et les arbres embaumaient encore, et on percevait même l'animation distante de la ville. Une nouvelle cloche sonna. Un bruit attira l'attention du vieux religieux qui se dressa et, agrippant l'appui de fenêtre, regarda dehors. Gervase se trouvait debout près du gros buisson d'aubépine, son capuchon relevé, les mains dans les manches de sa robe, comme en contemplation. Timothy cligna des yeux. Était-ce une légère volute de fumée?
L'horreur lui fit ouvrir grande la bouche. Gervase était là, debout, et l'instant d'après, on aurait dit que la terre s'était ouverte pour cracher une écume de feu.
— Gervase ! hurla Timothy.
Son vieux cœur s'était emballé, et c'est avec une terreur absolue qu'il vit une langue de feu monter jusqu'au ciel et engloutir le sous-prieur. Il voulut crier : impossible. Gervase était toujours debout, environné de flammes rugissantes. Timothy recula en chancelant, cherchant son souffle ; il saisit la clochette sur la table et, tombant à genoux, l'agita frénétiquement.
Kathryn se trouvait dans sa chambre de l'hostellerie du couvent quand le tocsin retentit; on l'avait installée dans une pièce agréable et spacieuse, propre, bien balayée, avec un lit confortable, une table et une chaise, et qu'éclairait une étroite fenêtre donnant sur les jardins. Colum était parti après avoir assuré que lui ou Thomasina reviendrait apporter à Kathryn de quoi se changer, ainsi que ce dont elle avait besoin. Assise à sa table, la jeune femme y disposait le contenu de sa sacoche d'écriture quand les sons stridents de la cloche l'alarmèrent. Elle hésita à intervenir car, n'étant qu'une hôte, elle ne voulait pas s'immiscer dans la vie du monastère. Un bruit de pas précipités retentit dans le couloir, suivi d'un coup hâtif frappé à la porte, et frère Jonquil pénétra en trombe dans la
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