La rose de Raby
brûlé?
—
Non, non, on l'a amené.
Soulagée de s'éloigner des cendres encore chaudes du cadavre, Kathryn suivit l'infirmier jusqu'au bosquet qui séparait le pré du haut mur d'enceinte du monastère. C'était une sorte de taillis ombreux, avec des ronces, des buissons et différentes espèces d'arbres : sycomores, frênes et chênes. Simon s'immobilisa pour écarter un buisson d'aubépine. Kathryn remarqua qu'une bonne partie de celui-ci, comme le sol à côté, était carbonisée sur une surface de deux mètres au carré. L'odeur de brûlé couvrait les senteurs du jardin.
S'accroupissant, la jeune femme examina la terre. L'herbe et le sous-bois n'étaient plus que charbon qui craquait sous les pieds. Kathryn se redressa pour observer le buisson d'aubépine que le feu avait en partie consumé. Des cendres légères voletaient encore dans la brise du soir.
—
Quel est cet endroit? demanda la jeune femme.
Frère Simon indiqua le pré, moucheté d'ombres par
le couchant, qui illuminait les vitres des fenêtres à meneaux.
—
C'est Gethsémani, Maîtresse Swinbrooke, un petit parc de plaisance où les frères peuvent se promener. Le noble à qui appartenait cette propriété jadis ne l'a cédée à notre ordre qu'à la condition que l'on ne construise jamais sur cette partie, qu'il appelait son jardin de Gethsémani.
Kathryn hocha la tête. Le lieu était paisible, agréable, rempli des joies de la nature, mais, à présent, tout était gâché par ces restes humains grotesques et puants, cette affreuse tache noire sur le pré, et la pénétrante odeur de brûlé et de destruction. De l'autre côté de la pelouse se tenaient d'autres membres de la confrérie, muets et interdits. Ceux qui avaient l'estomac fragile s'étaient contentés d'un regard avant de s'éloigner pour s'asseoir sur les bancs de pierre, le long de l'allée de gravier. Le prieur Anselm avait recouvré sa contenance; soutenu par frère Jonquil, il s'était redressé et fixait avec horreur la scène effroyable.
Kathryn s'enfonça sous le couvert des arbres. Elle- même se sentait nauséeuse, et tandis qu'elle portait la main à sa bouche, la puanteur faillit la faire vomir. Écartant la main, elle respira plusieurs fois profondément.
—
Vous vous sentez bien, Maîtresse?
Sans se retourner, Kathryn s'assit par terre, contre un arbre.
—
Ça ne va pas, Maîtresse ?
La jeune femme fit signe que non, et pendant un moment tendit l'oreille, guettant les bruits lointains de la ville, au-delà du mur.
—
C'est étrange, murmura-t-elle. Ici, on doit entendre les oiseaux chanter, et pourtant comme tout est devenu silencieux !
—
Que devons-nous faire?
La plainte du prieur Anselm déchira l'air.
Kathryn rejoignit les moines.
— Frère Simon, ordonna-t-elle, prenant l'infirmier par le coude, demandez que la dépouille soit transportée dans la toile au charnier. Et dites aux moines de se retirer.
—
Dois-je apporter des cuveaux d'eau pour nettoyer l'herbe? proposa l'infirmier.
— Non, non.
Kathryn retraversa le pré, les yeux fixés sur les bâtiments du couvent afin de ne pas voir les débris calcinés que les moines s'occupaient à recouvrir.
—
Faites enlever le corps! lança-t-elle vivement. Prieur Anselm ! Frère Simon !
Les deux moines la suivirent tandis qu'on faisait gentiment partir les autres religieux. Kathryn s'assit sur l'un des bancs de pierre et, fermant les yeux, s'efforça de recouvrer son sang-froid. Anselm, Simon et Jonquil s'éloignèrent pour échanger des propos à voix basse. Sentant qu'on lui effleurait le genou, Kathryn ouvrit les paupières.
— Je m'appelle Eadwig.
Le frère la sourit gentiment, tendant un gobelet de vin à la jeune femme, et il expliqua :
—
Il est un peu épicé, et je sers le même aux autres frères. Il vous donnera de la force.
Kathryn saisit la timbale en étain. Le vin était un riche bordeaux, fruité et frais ; il la débarrassa du mauvais goût qu'elle avait dans la bouche. Elle but doucement. Accroupi devant elle, Eadwig la fixait avec attention.
—
II a tout vu, savez-vous, déclara-t-il, pointant un doigt vers le ciel.
— Dieu voit toujours tout, mon frère.
— Oh non, non !
Le mince visage d'Eadwig se fendit en un sourire.
—
Ce n'est pas Dieu, mais quelqu'un presque aussi vieux que lui : frère Timothy, celui qui a donné l'alarme.
Kathryn se redressa. Elle se sentait mieux, bien que Gervase fût décédé, son âme envolée au ciel et son
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