La Rose de Sang
la montagne. Au son
d'une conque, un chasqui courait vers un autre pour prendre le message. Zéphyrine
comprit que ces hommes pouvaient de cette façon franchir la distance énorme de
soixante lieues [126] par jour.
Au fur et à mesure
que les jours passaient et qu'elle avançait dans le pays, Zéphyrine se rassurait
pour les Incas, sûre de leur intelligence, de leur remarquable organisation et
de leur force.
Elle s'inquiétait,
par contre, d'aller si lentement. Elle aurait voulu voler au-dessus des
montagnes pour arracher plus vite Luigi aux griffes de doña
Hermina.
A ce cri de
Pando-Pando, Zéphyrine recula, effrayée. Un pont suspendu se balançait entre
deux montagnes.
C'était une simple
passerelle soutenue par quatre câbles en fibre végétale.
Parmi les rochers,
les voyageurs grelottants se trouvaient face à des glaciers éternels.
Pando-Pando leur
avait donné des peaux de lama pour se couvrir. Un soleil froid éclairait les sommets. Des condors planaient dans le ciel.
Zéphyrine et ses
compagnons frissonnaient, n'osant s'aventurer sur le frêle passage.
Se jouant du gouffre
dans le fond duquel coulaient les flots bouillonnants d'un torrent, Pando-Pando
passait avec les lamas, aussi indifférents au vide que lui.
— Allons,
viens, vieille déesse pâle ! cria Pando-Pando pour demoiselle Pluche.
Verte de peur et de
froid, Arthémise recula derrière Zéphyrine.
— Moi,
Madame, j'aime mieux mourir ici, j'irai jamais sur l'autre bord, décida-t-elle.
— Moi
non plus, c'est pas un pont, c'est une passerelle en lianes du diable,
surenchérit Piccolo.
— A
toi, Zéphyrine pâle, sœur de Malitzin... Toi, courageuse !
Fouettée par ce cri
de Pando-Pando, Zéphyrine ne vit qu'une solution pour vaincre sa terreur.
S'accroupissant, elle s'aventura à quatre pattes sur la passerelle.
— Pluche
et Piccolo, venez, c'est un ordre, ou vous allez rester tout seuls ! cria
Zéphyrine.
Elle avançait les
yeux fermés. Voyant leur maîtresse qui les abandonnait, Arthémise et Piccolo se
décidèrent à traverser de la même façon.
Sur l'autre rive,
Pando-Pando se laissait aller à l'hilarité de voir les « dieux blancs descendus
du ciel » franchir une malheureuse passerelle à quatre pattes.
— Tu
vois, femme pâle, fit l'Indien en récupérant Zéphyrine, réellement
très blanche. Si invasion ennemie, Incas détruire les ponts !
— Mais
Pando-Pando, l'invasion est commencée, les Espagnols sont derrière nous et vous
ne faites rien ! protesta Zéphyrine.
L'Inca n'eut pas
l'air de comprendre.
— Viracocha
revenir ! Viracocha très bon !
Il ne voulait pas
en démordre.
Zéphyrine saisit la
bride de son lama et le petit groupe reprit sa route entre les rochers.
Le lendemain, après
avoir dormi dans une grotte, les voyageurs arrivèrent sur un plateau.
Zéphyrine et ses
compagnons étaient à bout de souffle. Les jambes tremblantes, ils regardaient
la vallée qui s'étendait à leurs pieds pour remonter de l'autre côté.
Toute la montagne
en face s'étageait en gradins. De la base au sommet, ce n'était que jardins et
terrasses. Les palais blancs aux toits couverts d'or de la ville étaient
enchâssés dans de somptueux parcs de verdure.
Un grand nombre de
tentes entourait la cité. Il pouvait y avoir de quarante à cinquante mille
Incas défendant un lieu imprenable et le campement de leur empereur.
Pando-Pando étendit
le bras.
— Voilà
Cajamarca !
Chapitre XXVIII
L'INCA
Zéphyrine s'inclina
jusqu'à terre comme elle avait vu les notables le faire devant leur Inca.
Derrière elle,
demoiselle Pluche et Piccolo imitèrent leur maîtresse.
D'une voix basse,
l'empereur Atahualpa interrogea Zéphyrine. Pando-Pando servait d'interprète.
— Le
Tout-Puissant Sapa Inca demande femme pâle aux yeux verts qui tu es et d'où tu
viens ?
Depuis trois jours
que Zéphyrine était à Cajamarca, elle venait enfin d'obtenir une audience.
Parmi les vingt mille habitants de la cité, elle avait cherché partout doña
Hermina sans en trouver trace.
Encadré de ses
quarante mille guerriers, de sa famille et de sa cour, l'Inca vivait à une
lieue de la ville dans un palais à fontaines d'eau chaude et froide.
Il s'agissait pour
le souverain d'une étape avant d'aller prendre la capitale de son Empire :
Cuzco.
Atahualpa était
assis sur un siège très bas. Il était entouré de
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