La Rose de Sang
blême. Fulvio se levait. Zéphyrine se
redressa, hagarde.
— Où allez-vous ?
— Dormez, n'ayez crainte, je reviens !
Zéphyrine
se pelotonna sur sa couche de verdure. Des larmes picotaient ses yeux.
Fulvio la rejetait. Vaincue par la fatigue, elle bascula pourtant dans le
sommeil.
Fulvio
avait tapé sur l'épaule de Bois-de-Chêne et Paolo.
— Fais le guet ! recommanda-t-il à ce dernier.
Avec
le Normand, ils rampèrent le long des Indiens pour remonter jusqu'à la tête de
la colonne. Trois tentes gardées par des Incas en armes étaient dressées dans
la forêt. Un cri d'enfant rêvant dans son sommeil éclata sous l'une des tentes.
— C'est vot' petiot, on y va-t'y capitaine ? chuchota
Bois-de-Chêne.
Fulvio
évalua la situation. Les gardes nerveux étaient sur le qui-vive. A la moindre
attaque, on aurait cinq cents Indiens sur le dos.
— Non, attendons !
Fulvio
et Bois-de-Chêne regagnèrent aussi silencieusement le campement de leurs
compagnons.
— Je prendrai la prochaine garde ! dit Fulvio à Paolo.
Puis
il revint à côté de Zéphyrine. La peau de puma avait glissé, découvrant ses
cheveux d'or. A la sombre luminosité de la lune, Fulvio se pencha. Il détailla
les traits si fins de Zéphyrine. Sur son visage encore plus beau qu'autrefois,
lisait-il les chagrins, les angoisses, les douleurs ?
«
M'as-tu trahi, ma Salamandre ? » pensa amèrement Fulvio.
Avant
de connaître Zéphyrine, le beau prince Farnello était toujours resté le maître
incontesté, décidant de ses conquêtes et y mettant cruellement fin quand il se
lassait. L'avait-elle fait souffrir, sa petite épouse, gagnée à Pavie ? Lui
avait-elle crié sa haine, son mépris ?
Plus
elle se refusait, plus Fulvio la désirait et voulait la soumettre à sa loi.
Quand enfin la Salamandre s'était rendue, jamais Fulvio n'aurait cru pouvoir
autant aimer une femme.
La
passion que Zéphyrine éprouvait pour lui augmentait la sienne. La naissance de
leurs jumeaux l'avait ébloui. La terrible séparation avait été la plus
abominable des épreuves. L'incertitude du sort de Zéphyrine et des enfants,
atroce. Revoir Zéphyrine aux côtés de Cortés avait été un choc dont Fulvio
n'était pas encore remis. Il se la représentait toujours sur la felouque aux
Canaries. Elle souriait, tête levée vers le conquistador. Fulvio connaissait
trop la vie. Il avait pu deviner dans leurs yeux une promesse amoureuse.
Ramant
comme une bête, rageant de son impuissance à maîtriser les événements,
l'orgueilleux Léopard « voyait »
Zéphyrine dans les
bras de Cortés. Malitzin n'avait pas arrangé les choses en avouant à Fulvio
qu'elle était malheureuse car Cortés aimait « Zéphyrine pâle » et ne cessait de
penser à elle.
Dans sa rage
jalouse, Fulvio s'était vengé à Panama en consolant Malitzin.
Pendant plusieurs
jours, se cachant dans le palais, Fulvio avait goûté à la peau dorée de la
belle Aztèque. S'il avait été complètement sincère, peut-être le prince
aurait-il admis que, privé de femme depuis longtemps, il se laissait aller à
son instinct de mâle conquérant. Quoi qu'il en soit, Malitzin avait fort bien
répondu à ses avances, peut-être les avait-elle même provoquées. Les deux
amants s'étaient agréablement consolés de l'incertitude de leur malheur.
Dans
son sommeil, Zéphyrine remua. Elle parlait.
— Fulvio... Luigi... Corisande!
Un
sanglot sortait de sa gorge. Oubliant ses rancœurs, Fulvio s'allongea à côté de
Zéphyrine. Doucement, pour ne pas la réveiller, il la prit dans ses bras. Il
entendait son souffle régulier. Fulvio enfouit son visage dans ses cheveux. Il
retrouvait la douceur de ce corps auquel il était si attaché. Ses mains
entouraient la taille souple. Zéphyrine se retourna. Geste ancestral, dans son
sommeil elle posa la tête sur l'épaule de son mari. Fulvio poussa un soupir.
Avec Zéphyrine, rien ne se passait jamais comme prévu.
Alors
qu'il avait décidé de ne lui offrir en la retrouvant que son mépris pour sa ou
ses trahisons (car le cas de Soto n'était pas net), Fulvio avait bondi pour la
sauver du poignard du sacrificateur. Il aurait voulu depuis la faire passer aux
aveux, mais le déroulement des événements ne lui en laissait pas la
possibilité.
Un
alpaga poussa un meuglement derrière les arbres. Un goût amer monta dans la
gorge de Fulvio. Il toucha l'orbite de son œil perdu
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