La Rose de Sang
avec le roi de Navarre
Henri d'Albret. Elle semblait satisfaite à l'idée de régner sur ce pays. Elle
avait l'esprit très libre et désirait protéger les réformés [16] dans son futur
royaume.
Le moine Luther,
dont Zéphyrine avait entendu parler comme d'un suppôt de Satan, intéressait
beaucoup Madame Marguerite.
Zéphyrine écoutait
avec attention. Pour une fois, elle ne savait trop que penser d'une position si
peu catholique. Très vive, Marguerite sautait du coq à l'âne. Elle voulait des
enfants.
A plusieurs
reprises, elle demanda à Zéphyrine d'amener Corisande. Visiblement, elle
prenait plaisir à jouer avec la petite fille.
Parfois, Marguerite
déclamait de vieux poèmes en langue d'oïl. Elle aimait le trouvère Blondel de
Nesles, compagnon de Richard Cœur de Lion :
Li Rosignous a
noncia la nouvelle
Que la sesons du douz tens est venue
Que toute riens renest et renouvele
Que li pré sont couvert d'erbe menue
Las ! car si m'est changée la merele
Qu'on m'a jeté en prison et en mue.
(« Le Rossignol a
annoncé la nouvelle
Voici venue la saison où le temps se fait doux
Où tout renaît et tout se renouvelle
Où les prairies se couvrent d'herbe menue
Hélas ! le sort m'est devenu si contraire
Que me voici captif, tel un faucon en cage. »)
Après avoir
déclamé, Madame Marguerite se taisait, émue par la similitude entre le sort du
roi Richard et celui de son frère François. Sans plus s'occuper de Zéphyrine,
elle trempait une plume d'oie dans son écritoire de voyage. Rapidement, elle
écrivait un recueil de nouvelles qu'elle demandait à sa compagne de relire tout
haut. Le recueil s'appelait : l'Heptaméron.
Zéphyrine pensait
que le Décaméron de son cher Boccace avait dû « inspirer » la princesse, mais
elle se gardait bien de le lui dire.
Pour la plus grande
joie de l'auteur, Zéphyrine, docile, lisait :
« La mort
déplorable d'un gentilhomme amoureux, pour avoir su trop tard qu'il était aimé
de sa maîtresse. » « Un villageois de qui la femme faisait l'amour avec le
Bailli du lieu. » « L'industrie d'un mari sage pour faire diversion à l'amour
que sa femme avait pour un moine. » « Un marchand de Prais trompa la mère de sa
maîtresse pour lui cacher ses amours. »
Les titres et leurs
sujets étaient vraiment drôles, fort peu ce que l'on pouvait attendre d'une
princesse royale.
Zéphyrine se
prenait à rire de bon cœur avec Marguerite. Brusquement, quand cette dernière
parlait de son frère François, elle avait les larmes aux yeux.
Le cortège arrivait
en vue de Madrid. Zéphyrine seulement alors comprit : la princesse Marguerite
s'étourdissait pour ne point penser à son chagrin.
Zéphyrine s'aperçut
que le remède avait agi aussi sur elle. Pleine de courage, elle avait oublié
son malheur. Dans ce répit, elle allait puiser la force de se lancer à
l'attaque.
Au loin, dominant
le Manzanares et les bois d'El Pardo, Zéphyrine apercevait les sombres tours de
l'Alcazar.
Chapitre VIII
L'HIDALGO DE MADRID
— Hep...
Hep... Buenos dias, caballero!
Le cavalier que
Zéphyrine venait d'interpeller se contenta d'incliner la tête sous son chapeau
noir.
— A
donde lleve esta carretera (Où conduit cette route) ? interrogea
Zéphyrine à la portière du carroche.
Par deux fois, le
cortège de Madame Marguerite venait de se tromper de direction dans les
faubourgs de Madrid, allant buter contre murailles et fossés, sans trouver les
portes d'accès à la cité.
Agacée par ses
écuyers qui ne comprenaient rien au langage des autochtones, la princesse avait
demandé à Zéphyrine d'interroger un cavalier suivi d'un cabailerizo [17] sans livrée.
L'homme devait être
un petit hidalgo, à en juger par sa sombre casaque, ses chausses et son pauvre
pourpoint râpé aux manches. Seule note claire dans son costume, il portait
autour du cou une fraise gaufrée, assez défraîchie par la poussière d'une
longue chevauchée.
A la question fort
simple de Zéphyrine, il parut hésiter.
— Que...
qui... quiere... u... usted (Que désirez-vous) ? demanda l'hidalgo.
Il avait un accent
indéfinissable. Une curieuse façon de parler, butant sur les mots. Zéphyrine
avait du mal à le comprendre. Ce qui la frappait, c'était la fixité du regard sous
le feutre noir à plumet et la pâleur de son teint. « J'interroge un idiot ! »
pensa la jeune femme. La bouche béante du cavalier lui donnait une expression
d'hébétude. Malgré
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