La Rose de Sang
ayant achevé sa lecture.
Don Ramon ne
pouvait savoir si elle était furieuse ou indifférente. Pas un muscle de son
visage laminé n'avait bougé. Seuls ses yeux noirs aux longs cils recourbés
brillaient sous les lourdes paupières.
— Les
désirs du roi sont des ordres auxquels je me soumets avec d'autant plus de
bonne grâce que la tâche était lourde. Sur le conseil de Sa Majesté, j'avais
cru bien faire de sauver cet enfant des flammes de l'Etna, mais si Charles
Quint le veut... Attendez-moi, Messire, je reviens !
Doña Hermina ressortit de la
pièce, laissant dans son sillage un parfum entêtant. Mal à l'aise, don
Ramon essuya son front. Il était désireux de quitter au plus vite ce couvent et
cette femme qu'il
estimait maléfique.
Le
temps passait.
Au
carillon de la chapelle, don Ramon jugea qu'il avait dû s'écouler la demie
d'une heure depuis que doña Hermina était sortie de la pièce.
«
Que manigance-t-elle encore? » pensa don Ramon.
La
main posée sur son épée, il allait se ruer hors de la pièce, prêt à tonitruer,
à épouvanter les nonnes, quand la porte se rouvrit sur doña Hermina. Il
s'arrêta net. Elle portait dans ses bras un enfant enveloppé dans un châle de
soie blanche. Don Ramon se pencha pour regarder le bébé. Il jugea que le pauvre
petit avait l'air souffreteux.
— Quel âge a-t-il ? s'enquit don Ramon.
— Six mois, Señor.
Don
Ramon ne connaissait rien aux enfants. Il prit avec gêne le bébé des bras de
doña Hermina.
— Señor, je compte sur votre loyauté pour dire à Sa Majesté que
je suis toujours sa fidèle et dévouée servante.
— J'en réponds sur mon honneur, Madame.
— Puis-je vous demander de me signer une décharge ?
— Qu'est-ce à dire, Madame?
— Señor, j'ai pris soin de cet enfant, c'était pour moi grande
responsabilité. Maintenant, je vous le rends de bonne grâce. Malgré la
confiance que j'ai en votre parole, il faut me donner un gage.
Doña
Hermina tapa dans ses mains. Une servante naine entra dans la pièce. Elle était
vêtue d'une petite robe de bure et coiffée d'une cornette qui cachait sa grosse
tête. Elle tenait une plume et un parchemin qu'elle tendit à don Ramon.
Embarrassé par le bébé, don Ramon le rendit à doña Hermina. Il
prit connaissance de ce qui était déjà écrit :
Ce jour même, fête
de la San Juan, sur l'ordre de don Carlos, la señora Trinita Orlando a rendu en
bonne santé l'enfant mâle dont elle avait la garde au porteur du présent qui en
atteste la bonne foi.
Doña
Hermina était prévoyante. Don Ramon n'hésita pas. Il signa : Ramon Gonzales de Calzada.
Doña
Hermina écarta les langes du bébé qui vagissait faiblement. Elle lui fit constater
qu'il s'agissait bien d'un enfant mâle et elle le lui rendit en gardant l'ordre
de « don Carlos » et la décharge.
Don
Ramon était maintenant pressé de partir. Son précieux fardeau à l 'abri de sa cape,
il salua et sortit rapidement de la pièce.
Les
yeux toujours baissés, la tourière le raccompagna jusqu’à la porte du couvent.
Don Ramon n'avait pas l'habitude de monter à cheval avec un
bébé dans les bras. L'opération était délicate. En bon cavalier, il y réussit
et, à travers les ruelles encombrées de chariots, de mulets et de colporteurs, le fier gentilhomme se fraya un
chemin vers sa destination finale.
Comme
tous les êtres qui ont beaucoup souffert dans la vie, Zéphyrine imaginait les
pires choses en arrivant à l'auberge de San Simeón. Seuls les cris de joie de
Corisande, les clameurs imagées de La Douceur et les gentils zozotements de
demoiselle Pluche l'accueillirent.
Emilia
et Piccolo confirmèrent : la nuit à l'auberge s'était bien passée, sans alerte
d'aucune sorte. Le Vénitien n'avait toujours pas donné signe de vie chez
l'armurier de la Plaza Mayor.
Zéphyrine
mourait de faim. Elle se fit servir un plantureux repas, partagé par Gros Léon,
qu'Emilia courut acheter aux marchands ambulants de la place. Enfin rassasiée,
elle ordonna qu'on lui monte de l'eau chaude.
Etonnée
par ce désir, la femme de l'aubergiste osa demander :
— Qu'est-ce que la señora française veut en faire ?
— Son Altesse veut se laver, ma brave ! répondit demoiselle
Pluche avec hauteur.
Ecrasée
par ce luxe d'outre-Pyrénées, la señora Catalina envoya aussitôt trois filles
de cuisine avec des
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