La Rose de Sang
particulier, elle ne pouvait s'empêcher d'admirer l'épopée que
vivaient ces hommes de son siècle.
— Voyez-vous,
Cortés, reprit Zéphyrine après un instant de silence..., ce que j'admire, c'est
que vous changez la face du monde et je vous respecte pour cela... Par contre,
ce que je refuse, ce sont les massacres des malheureuses populations indigènes
et leur réduction en esclavage.
Cortés se redressa.
Il avait besoin de se justifier.
— Tu
te trompes, Zéphyrine. Le monde appartient à celui qui est le plus fort. Cela a
toujours été ainsi de tout temps et sera toujours, tant que l'homme sera
l'homme. Je n'apprécie que modérément les tueries et ne le fais que contraint
et forcé... Mais les Indiens aussi sont fautifs.
— Vous
exagérez, ces malheureux ne sont fautifs que d'avoir Perdu...
— Tu te trompes, fit
sombrement Cortés. Ils sont fautifs de ne pas avoir lutté contre nous, mais entre eux ! Au lieu de s'allier Pour nous battre, ils se sont
disputés. Nous en avons profité. Nous leur apportons la civilisation des hommes
blancs descendus du ciel, comme ils disent... Je n'ai pas tué Montezuma, ce sont les siens qui l'ont tué et je l'ai
toujours traité en prince [102] ...
Mais, j'ai gagné, Zéphyrine, et le plus fort a tous les droits !
Epuisé par sa
fièvre, le conquistador s'endormit sur le bras de Zéphyrine. Elle le regarda
longuement.
— Fulvio,
mon amour..., murmura-t-elle en baisant les boucles brunes de Cortés.
A 6 heures du
matin, le conquistador, bien pâle, monta à cheval et la longue colonne de la
flotte de la « terre ferme » se mit en route pour traverser l'isthme.
Tambours, fifres,
caporaux, arquebusiers, mousquetaires, enseignes, connétables d'artillerie, avantagés [103] , sergents, capitaines, maîtres commis, barbiers, chirurgiens, gardes de l'eau,
gardes des vivres, aumôniers, écrivains, trompettes, forçats, esclaves tirant
les canons de bronze à tête de lion sculptée sur la culasse, chariots, mulets,
chevaux, drapeaux, s'étiraient, tel un serpent brillant sous le soleil, sur
plus d'une lieue.
Derrière les
soldats qui ouvraient la marche avec leurs hallebardes marchaient des Indiens
Cimarons pacifiés et collaborant avec l'occupant. Ces hommes tatoués de blanc
et de rouge portaient sur l'épaule des perroquets, des guirlandes de plumes et
de coquillages sur la tête, des roseaux géants à la main. Pour le plus grand
ébahissement de Zéphyrine, ces hommes cuivrés tenaient dans leur bouche des
feuilles brunes roulées au bout rougeoyant dont ils rejetaient la fumée par le
nez et la bouche, comme s'ils eussent été consumés par un feu intérieur.
Montée sur un bon
cheval, Zéphyrine faisait partie, avec demoiselle Pluche, Piccolo et Cristobal,
qui passait son temps à dessiner, de la suite personnelle de Cortés. Pour
l'expédition, Zéphyrine avait remis ses vêtements de garçon et demoiselle
Pluche ses habits d'apothicaire.
Le soleil était
brûlant. Les cavaliers se mettaient de grands chapeaux pour s'abriter des
rayons. Zéphyrine se demandait comment les
Espagnols tenaient sous leurs casques de métal et dans leurs cottes de mailles. Surtout
Cortés, à peine rétabli de sa fièvre. C'était une rude traversée que celle de
cet isthme reliant les deux continents.
Au milieu des
émanations pestilentielles des marais, il fallait avancer sur une « route » à
travers la forêt ou la brousse. Un passage avait bien sûr été tracé par d'autres colonnes, mais la végétation luxuriante
reprenait sans arrêt ses droits.
Les Indiens
Cimarons, pacifiés et semblant fort dévoués à Cortés, frayaient un chemin à la hache. Il
fallut franchir plusieurs fois le Rio Chagrès et ses affluents. Au plaisir de
se rafraîchir se mêlait le danger. Les cours d'eau étaient violents et infestés
de crocodiles. Effrayé par l'un d'eux, le cheval de Zéphyrine se cabra et la renversa au milieu du fleuve.
Elle se sentait emportée par les tourbillons, se débattait. Vaquero, le chef
des Cimarons, plongea et la ramena sur la rive.
C'était elle qui
lui devait sa reconnaissance pour lui avoir sauvé la vie, mais, à partir de cet
instant, Zéphyrine devint la déesse des Cimarons. Ils étaient fiers d'avoir
sauvé une créature aux yeux verts et lui apportaient des fruits pour la
désaltérer.
— Divine
Zéphyrine, tu peux venir ici prendre le pouvoir ! dit Cortés en souriant, le
soir
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