La Rose de Sang
pendant l'étape.
Pour la nuit, on
avait construit des abris improvisés de branches et de feuillages. Allongée sur
un lit de feuilles près de Cortés, Zéphyrine ne pouvait dormir. Elle songeait à
l'évolution de leurs rapports qui devenaient quasi fraternels.
« Comme ma vie est
étrange ! » pensait-elle, tracassée à l'idée d'être enceinte et refusant d'en
parler à Cortés.
Elle écoutait les
bruits de la brousse, les cris d'animaux inconnus. Même la lune qu'elle
apercevait à travers les fentes du feuillage lui semblait différente de celle
qu'elle avait toujours connue.
Après quatre jours
de cette marche harassante, la colonne arriva au point culminant de l'isthme.
Sur la demande de Cortés, le chef des Cimarons le fit monter avec Cristobal et
Zéphyrine au sommet d'un grand arbre aménagé en observatoire.
De ce perchoir,
Zéphyrine, muette d'admiration, découvrait Une vaste étendue de cet étrange
pays allongé. Partout, c'étaient des forêts d'un vert sombre. Au loin, de
chaque côté une bande argentée les bordait. Au nord, moutonnante, agitée, la
mer Ténébreuse, ou océan Atlantique, au sud une immensité d'eau bleue reposante
et calme.
— Comme
ce grand Océan a l'air pacifique ! murmura Zéphyrine.
En souvenir de
vous, mon amie, nous le nommerons ainsi... L'océan Pacifique, déclara Cortés,
galant.
Le petit
cartographe ne cessait de prendre des notes, raturer, décrire des courbes,
dessiner des cours d'eau et des côtes.
En redescendant,
Zéphyrine pensa qu'elle avait vu ce que nul Français n'avait encore aperçu...
les deux océans! Pourrait-elle le raconter à ses concitoyens ? Elle en doutait,
car, au fur et à mesure qu'elle s'enfonçait dans la forêt tropicale, elle en
mesurait les dangers et se demandait si on en sortirait jamais
A toutes les épreuves s'ajoutait maintenant une nouvelle maladie qui faisait des ravages
parmi les soldats, le vomito negro [104] .
— Toi manger comme
Cimarons, pour pas malade comme eux,
déclarait le chef en nourrissant Zéphyrine et ses compa gnons de racines et de fruits.
Ce dont elle
souffrait le plus était de ne pouvoir se laver. Un matin très tôt, elle
s'éloigna du campement pour descendre vers un cours d'eau y faire ses
ablutions. L'endroit était calme, Zéphyrine ôta ses vêtements et se trempa avec
délice dans l'anse du fleuve. Elle ressortit, essuya de sa chemise son corps nu
devant les premiers rayons du soleil. Elle était détendue, assise sur la berge
et son pourpoint. Soudain, elle poussa un hurlement, une chose ignoble s'était
abattue sur elle, l'étreignant, l'enserrant, l'entraînant vers la végétation.
C'était un énorme
serpent de quinze pieds de long. Un monstre carnassier qui l'étouffait.
Zéphyrine se débattait, criait, suffoquait. La bête soufflait dans son visage
une bave puante. Il resserrait ses anneaux autour de son corps. Zéphyrine,
sanglotante, s'accrochait aux arbustes. La queue préhensile du serpent
s'abattait sur ses mains, ses bras, sa poitrine, son ventre. Inextricablement,
le boa l'étouffait avant d'aller l'avaler dans son hideux repaire.
Chapitre XXV
PANAMA
— Lui
très gros... très bon à manger! déclara Vaquero d'un air satisfait.
Couverte de la bave
du boa, Zéphyrine regardait avec hébétude le visage souriant du chef des
Cimarons. L'Indien venait de la sauver pour la seconde fois en coupant d'un
coup sec la tête du serpent.
Remplie de bleus,
d'ecchymoses, boitant, ayant du mal à respirer, Zéphyrine se laissa laver par
Vaquero.
— La
femme pâle descendue du ciel très belle ! déclara le Cimaron, qui paraissait un
connaisseur.
Il ramassa le
médaillon que Zéphyrine avait perdu, le lui remit autour du cou et l'enroula
dans sa chemise.
Des cris
accueillirent le retour de Zéphyrine portée dans les bras cuivrés de Vaquero.
— Ce
n'est vraiment pas prudent, Madame, d'aller vous promener toute seule dans ce
pays de sauvages ! zozota demoiselle Pluche, qui avait toujours le mot juste.
Zéphyrine était
incapable de remonter à cheval. Cortés fit confectionner un brancard. A quelque
chose malheur est bon. Un flux naturel apprit à la jeune femme qu'elle n'était
pas ou n'était plus enceinte. Etait-ce le traitement du boa? Ou les fatigues du
voyage ? Zéphyrine, soulagée, ne savait pas mais elle avait eu trop peur. Elle
se promit dorénavant d'être sage et vertueuse.
Bringuebalée sur le
bois dur, Zéphyrine
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