La Sibylle De La Révolution
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l’étang et se dirigeaient vers une sorte de temple circulaire en ruine.
Quelques colonnes élégantes s’élevaient vers le ciel car le toit en avait
disparu, à moins qu’il n’ait jamais été construit. Sénart commençait à s’en
rendre compte, tout ici, même la sauvagerie de la nature, était artificiel. Une
foule s’était rassemblée. Plusieurs flambeaux, tenus par des serviteurs
masqués, éclairaient la scène. Sur les marches, il reconnut le marquis. À côté
de lui se tenait un homme d’âge mûr, au visage impénétrable, vêtu comme un
marabout arabe mais qui portait néanmoins une perruque à la dernière mode. En
se rapprochant, il aperçut de nombreux bijoux sur ses vêtements.
Girardin pérorait :
— Je vous l’avais promis, mes
chers amis, il est là et ses précieux enseignements vous seront bientôt
communiqués. Mais vous le savez, aucune oreille profane ne doit les entendre.
Mesdames, vous connaissez la condition de votre présence. Le maître ici présent
va choisir sa Vierge : celle qui sera à la fois la reine de ces lieux, sa
muse et sa maîtresse. Les autres, vous le savez, s’acquitteront des devoirs de
leur sexe auprès de chaque élu de cette assemblée. Alignez-vous maintenant.
Il y eut un petit frisson parmi
les femmes de l’assistance. Sénart se rendit compte avec stupéfaction qu’elles
obéissaient à cet ordre contre nature sans aucune répugnance. Marie-Adélaïde
elle-même les rejoignit après un petit signe de la main à son chevalier
servant.
— Ne t’inquiète pas pour moi,
je serai de retour dans un instant.
Le dénommé Saint-Germain prit
alors la parole :
— Mes chers amis, vous tous
réunis ici en ces temps difficiles : vous le sentez tous, alors que, jour
après jour, un gouvernement inique massacre vos frères, vos pères, vos femmes,
vos sœurs, il y a besoin dans ce monde d’un nouvel ordre. D’une nouvelle foi.
Je ne viens pas vous encourager à renouer avec la vieille doctrine catholique
qui a fait tant de mal par le passé. L’enseignement du grand Jean-Jacques dont
nous honorons ici la mémoire doit nous conduire : Dieu étant dans tout,
l’humain ne peut pécher que s’il s’isole de la nature. Toutes les impulsions
naturelles sont l’œuvre de Dieu, le devoir est donc de les suivre. La société
idéale verra toutes choses mises en commun, y compris ce lien qui est le plus
sacré et le plus noble : l’amour. Les amants devront suivre leurs
instincts et s’aimer librement. Les femmes qui sont notre bien le plus
précieux, l’ornement du genre humain, devront s’offrir à tous. Renoncez à toute
religion positive, car il n’y a ni Dieu ni Diable, tous les livres sont inutiles,
la loi étant gravée dans le cœur des fidèles. Notre idéal sera atteint lorsque
tous les biens seront en commun. Lorsque, tous, nous marcherons nus après avoir
recouvré l’innocence du paradis terrestre.
Après avoir entendu ce discours
scandaleux, le secrétaire rédacteur, méconnaissable sous son déguisement,
assista à un spectacle étonnant. Un laquais s’avança en tenant un flambeau allumé.
Il précédait le mystérieux personnage et éclairait successivement chacune des
femmes présentes qui le saluait alors avec une profonde révérence. À toutes, il
présentait ses hommages d’une voix douce et pénétrante, puis continuait son
inspection.
Finalement, il parvint devant
Marie-Adélaïde et s’arrêta, manifestement intéressé.
— Mais que vois-je, Nût, déesse
de la nuit. Protectrice de ceux qui rêvent. Elle qui recouvre le monde entier
de son corps étoilé. Vous êtes vraiment magnifique.
— Je suis la nuit qui protège,
maître, mais aussi la nuit qui séduit.
Sénart faillit
intervenir : sous les compliments de cet imposteur, elle ronronnait et
minaudait comme une chatte.
— Il en sera donc ainsi, ma
chère. Vous voici nommée Vierge. Soyez à moi et l’immortalité vous attend pour
cette faveur insigne.
— Vous m’en voyez particulièrement
honorée, maître. Vous ne serez déçue ni par mes charmes ni par mes talents.
— Je n’en doute pas.
Il lui prit le bras et s’en
retourna en sa compagnie vers le temple.
Sénart voulut réagir mais,
autour de lui, la scène changeait du tout au tout.
Sur un signal silencieux, les
laquais avaient éteint toutes les torches. Aussitôt la bacchanale commença. Une
musique joyeuse retentit à quelques dizaines de pieds de lui. Il y eut des
rires, des
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