La Sibylle De La Révolution
monseigneur. J’espère que tu trouveras ce que tu veux, mais prends
garde, car le maître n’aime pas qu’on transgresse les règles qu’il a lui-même
établies. C’est avec grand regret que je te quitte car tu es un jeune homme
courageux et charmant.
Tout de suite, elle fit
demi-tour et courut en direction de l’étang. Il la suivit des yeux un instant,
troublé malgré lui par cette apparition. Elle était belle et désirable comme
une nymphe des bois. Mais il reprit aussitôt son sérieux : des paroles
venaient de la tente.
— Ma chère Sibylle, c’est
toujours un grand plaisir de vous voir. À ma connaissance, c’est la première
fois que vous fréquentez mes jardins. Je ne regrette pas du tout mon choix.
Venez, ma chère.
— Comte, je ne suis pas venue
ici pour être aimée de vous. De plus pressants desseins me guident.
— Est-il un dessein plus urgent
que celui de satisfaire nos sens ? Allons venez ! Ici votre talent
aux cartes ne vous sera d’aucune utilité.
La voix masculine se faisait
insistante. On bougeait là-dedans. N’essayait-il pas de l’étreindre ?
Sénart reprit son pistolet et
écarta la toile qui masquait l’entrée.
Marie-Adélaïde était là. Sa
robe bleu nuit avait du mal à résister aux assauts du comte. Quelques lampes à
huile éclairaient un intérieur luxueux et notamment un lit à l’antique décoré
de roses. Le comte se retourna pour faire face au nouveau venu. Il allait crier
quelque chose mais se lut devant le canon du pistolet braqué sur lui.
— Ne dis rien, n’appelle pas ou,
au nom du Comité de sûreté générale, je t’explose la cervelle !
L’expression de la Sibylle
changea. Il y avait du soulagement dans sa voix :
— Ah ! te voilà citoyen.
Sais-tu que tu m’as fait attendre ? Que fabriquais-tu donc ?
Peut-être profitais-tu toi aussi d’une de ces belles, ajouta-t-elle d’un ton
moqueur.
— J’aurais peut-être dû le
faire et laisser notre hôte s’amuser un peu, maugréa-t-il. Toi, l’homme,
assieds-toi et ne fais aucun geste suspect si tu veux rester en vie.
Le comte obtempéra. Vu d’aussi
près, à la lueur des torches, il paraissait moins impressionnant que pendant la
cérémonie.
— Vous… vous représentez le
comité. J’ai toujours été un bon citoyen et…
— C’est ce que nous verrons.
Dis ton nom et ton âge.
— Je suis le comte de
Saint-Germain, quant à mon âge, tout dépend si vous comptez mes vies
antérieures ou non…
Sénart rapprocha encore son
arme.
— Je ne suis pas aussi crédule
que ces gens-là ! Dis ton nom, ton vrai nom !
L’autre réfléchit un instant,
comme s’il évaluait ses chances de s’en tirer par un coup de force.
— Et n’essaye pas de
t’échapper, car je le jure, au nom de l’Être suprême, je t’abats dans
l’instant !
Le visage de l’autre se défit
tout d’un coup. Il tremblait de peur désormais.
— D’accord, je vais tout vous
dire. Je m’appelle Eugène Svendenborg, je suis suédois et chimiste moi aussi.
Le comte m’a engagé lorsqu’il occupait le château du landgrave Charles de Hesse
en Allemagne. Il m’a confié la plupart de ses secrets. Voyez-vous je devais
être son successeur. Hériter de son nom et de sa réputation.
— Alors, ainsi, le comte n’est
pas immortel ? railla Sénart.
L’homme enleva sa perruque, il
était presque chauve.
— Ses recherches étaient sur le
point d’aboutir. Je les poursuis depuis dix ans qu’il a rejoint l’Orient
éternel. Je vous assure, il est encore là, parmi nous.
— Allons n’essaye pas de me
tromper de nouveau.
— Je ne crois pas que cet homme
tente de te tromper, intervint Marie-Adélaïde. Il est seulement témoin d’un
étrange phénomène. Est-ce que je me trompe, Eugène Svendenborg ?
— Quel phénomène ? lança
le secrétaire rédacteur intrigué malgré lui.
— Petit à petit, notre ami
suédois, se sent envahi par d’étranges pensées. Souvent, il accomplit des
actions auxquelles jamais il n’aurait pensé avant. Souvent, il se lève dans son
sommeil et se réveille au moment d’accomplir quelque tâche mystérieuse. Ai-je
raison, Eugène ?
— Oui, Sibylle, vous avez
raison. C’est exactement cela. L’âme du comte est en train de revivre en moi.
Il m’avait prévenu avant de mourir mais c’est effrayant. Parfois, je voudrais
ne jamais l’avoir connu.
— Mais vous ne le pouvez car le
pouvoir qu’il vous donne vous permet d’assouvir vos
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