la tondue
on ne me la refait pas, à moi ! »
Elle regarda attentivement Yvette et fronça les sourcils :
« Y aurait-il quelque chose entre toi et ce garçon ? »
La jeune fille ne répondit pas.
« Parce que si c’était ça, tu pourrais prendre tes affaires et repartir d’où tu viens. Il n’y a pas de place, ici, pour les gens de cette sorte !
— Tu te fais des idées. D’abord, il ne peut pas être juif, il s’appelle Durand ! »
La mère haussa les épaules.
« Comme si c’était une preuve !… En tout cas, tu as entendu ce que je t’ai dit. Je n’y reviendrai pas dessus… »
Sans rien ajouter, la vieille femme passa devant Yvette médusée et muette, ouvrit la porte de sa chambre et disparut sans se retourner.
XIV
L’accident
Yvette bouillait de revoir David pour lui demander ce qu’il pensait de sa famille et, surtout, pour essayer de savoir s’il était juif ou non.
Pendant la guerre, elle savait que les juifs avaient été envoyés en Allemagne. Ils avaient été torturés dans des camps.
Mais elle n’y avait jamais songé sérieusement.
Quand elle eut réfléchi, elle se dit, qu’après tout un juif était un homme comme un autre.
Sa tante Marie, une sœur de son père, avait bien épousé un Espagnol et personne n’y avait trouvé à redire…
Pourquoi la mère était-elle tant en colère, au point de menacer de la chasser ?
Elle haussa les épaules, encore une de ses lubies ! Elle chercherait à rencontrer le père seul, pour savoir ce qu’il en pensait.
Après le froid vif, la neige était venue. Elle était tombée en abondance et le village se trouvait isolé. Le pylône électrique qui desservait toute la vallée en courant n’avait pas résisté au poids de la neige fraîche et, à la nuit tombée, l’obscurité régnait en maîtresse au village.
Les veillées se passaient autour de la lampe à pétrole, comme autrefois. Cette lampe, sortie pour la circonstance du fin fond du grenier, fumait et filait, jetant une clarté parcimonieuse qui agrandissait les ombres.
Le père, ravi de revivre sa jeunesse, racontait et racontait encore des histoires de l’ancien temps.
Serrée autour de la lampe, la famille essayait de reprendre ses tâches habituelles. Dans cette semi-clarté, on s’ennuyait vite et la chaleur du lit, où l’on mettait “le moine” – une sorte de chauffe lit – était la bienvenue.
Plus de radio ni de chansons pour les jeunes. Les routes bloquées empêchaient David de venir à vélo, aussi les jours se traînaient-ils, mornes et insipides.
La cuisine seule recevait la chaleur du fourneau neuf et brillant qui trônait presque au milieu de la pièce. Après les soins donnés aux bêtes, les quatre se retrouvaient et se serraient autour du foyer grand ouvert où brûlaient des bûches de frêne.
Corvées de bois, corvées d’eau et visites à l’étable, à la grange ou à la bergerie étaient les seules sorties que se permettaient les gens du village.
Quelquefois, au hasard d’une rencontre, ils échangeaient quelques considérations sur le temps, sous l’auvent d’un portail, mains dans les poches, épaules serrées pour donner moins de prise à la bise. Les doigts formant un abri, les hommes tentaient d’allumer une cigarette dont ils savouraient deux gorgées ensemble avant de reprendre le chemin de la maison et de sa tiédeur confortable.
Ce matin-là, les seaux étaient vides. Par hasard, la mère se trouvait seule. Elle prit un seau de chaque main et, la tête enveloppée d’un fichu, partit pour la fontaine en prenant garde de ne pas tomber.
Malgré la neige, la fontaine avait toujours un petit débit. Elle énervait les impatients mais convenait très bien aux commères. Elles en profitaient pour se raconter les derniers potins du coin et, quelquefois, déchirer la réputation d’autrui à belles dents.
Quand Clémence arriva, l’hiver était le grand sujet de conversation et les langues allaient bon train. La mère de Paulette partit juste avant elle, la laissant attendre patiemment que ses seaux soient remplis.
Le remplissage fini, Clémence descendit lentement le chemin en prenant bien garde où elle mettait les pieds. Au début, tout se passa bien. Mais, tout à coup, alors qu’elle allait arriver, elle glissa, ses pieds partirent en avant, et elle tomba lourdement à la renverse, alors que ses deux seaux s’affaissaient sur la neige dans un “plouf” étouffé.
« Aïe, aie », gémit la pauvre
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