La Trahison Des Ombres
m’a
dit qu’il me connaissait. Et que le juge Tressilyian l’écoutait. Oui.
Peterkin s’humecta les lèvres.
— C’est ça qu’il a dit. Il savait comment j’épiais
les donzelles. Comment, en été, je suivais les couples dans la campagne. Il a
aussi dit que j’avais volé des choses : qu’il le dirait à Maître Blidscote
qui me mettrait au pilori.
— Il t’a donc appris le poème ? le
pressa Corbett.
— Oui, mais au début y avait pas de nom. Il
est revenu quelques jours plus tard ; ding-dong, ding-dong, faisait sa
cloche. Il m’a fait réciter le poème. Puis il m’a dit d’apporter un message à
cette fille, puis à celle-là.
Il secoua la tête.
— J’ai oublié qui.
— Et, finalement, le nom de sa première
victime ?
— Oui, répondit Peterkin en cillant. Je
croyais que c’était qu’un jeu. Pauvre Peterkin.
Il claqua des mains et jeta un coup d’œil
implorant au magistrat.
— Le pauvre Peterkin savait pas.
— Et que t’a-t-il ordonné ?
— Fallait que j’trouve la damoiselle toute
seule. J’avais un grand secret pour elle et elle devait en parler à personne.
Je lui disais le message que quand elle avait promis, juré et avait fait le
signe de croix.
— Que s’est-il passé ? interrogea
Ranulf en se levant et en s’approchant, intrigué par la façon dont ce rusé
meurtrier avait procédé. Que s’est-il passé ? répéta-t-il. La jeune
Elizabeth, la dernière victime, qu’est-ce qu’elle a fait ?
— J’I’ai trouvée sur le chemin revenant du
marché.
Peterkin ferma les yeux.
— «Elizabeth, que j’ai dit, j’ai un grand
secret pour toi.
— Oh, Peterkin, qu’elle a dit, ne
sois pas sot.
— Non, non, j’ai dit, c’est vrai. »
— Puis tu lui as montré une pièce, n’est-ce
pas ? déclara Corbett.
Le garçon, à présent terrifié, fit oui de la
tête.
— Tu lui as expliqué qu’un admirateur t’avait
remis cette pièce pour qu’elle comprenne que tu ne plaisantais pas. C’est juste ?
L’idiot acquiesça.
— » Oh, Peterkin, a-t-elle demandé,
qui c’est ? » J’ai pas voulu répondre. J’avais juré d’pas lui dire. J’ai
donné le message et me suis sauvé.
— Intelligent, murmura Corbett. Tout le
monde était piégé : Peterkin qui devait délivrer le message et la victime,
à qui il montrait une pièce pour qu’elle lui fasse confiance. Comprenez-vous,
grand-mère Crauford ?
— Oui, admit la vieille femme, les yeux
pleins de larmes. Dieu sait que la pauvre Elizabeth ne risquait point d’en
parler à qui que ce soit ! On l’aurait soit suivie là-bas, soit devancée.
Bien sûr, personne ne croit vraiment ce pauvre garçon. Ce pouvait être une idée
folle. Elle ne voulait pas qu’on la prenne pour une sotte...
— C’est vrai, mais, comme les autres
victimes, on avait éveillé sa curiosité. Le message de Peterkin était fort
clair, mais fort mystérieux aussi. Le niais du village avait été payé pour le
porter ; il signifiait donc quelque chose. Elle n’a pas osé se confier et
a ainsi scellé son destin.
— À quoi ressemblait sa voix ? s’enquit
Ranulf.
— J’sais pas, gémit Peterkin. Une voix
douce.
— L’avais-tu déjà ouïe ?
— Pour l’amour de Dieu, Sir Hugh ! s’exclama
la vieille femme. L’homme était masqué !
— L’as-tu jamais suivi ? questionna
Ranulf.
Le garçon, l’air épouvanté, secoua la tête.
— Qu’est-ce que j’pouvais faire, après la
première mort ? pleurnicha-t-il, en se frottant les mains, les larmes
sillonnant ses joues sales. Où j’pouvais aller ? Pauvre Peterkin !
Il se frappa la poitrine.
Corbett adressa un coup d’œil à Ranulf et hocha
la tête. Le garçon se faisait plus stupide qu’il n’était, mais son récit
obéissait à une certaine logique. Il ressemblait à un chien bien dressé, poussé
par la gourmandise et la peur, envoyé de-ci de-là par son maître.
— Vous l’attraperez.
Grand-mère Crauford regarda Corbett qui s’était
levé et resserrait son ceinturon.
— Oh, je le prendrai ! Comme un oiseau
dans un filet. Puis je le ferai pendre à la potence hors de Melford, comme l’âme
damnée qu’il est.
Le magistrat se dirigea vers la porte. Il posa
la main sur le loquet.
— Vous comprenez maintenant pourquoi je
nomme cet endroit Haceldema ? lui lança-t-elle.
— Oui, je comprends.
Corbett regarda par-dessus son
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