La Trahison Des Ombres
J’étais à
Sheepcote Lane ; c’est un sentier étroit à travers champs. Je prenais le
soleil, blottie derrière un rocher affleurant, quand j’ai entendu un cheval. A
l’accoutumée l’endroit est désert, alors j’ai jeté un coup d’œil par-dessus le
rocher et, le temps d’une seconde, j’ai aperçu cet homme emmitouflé. Il portait
sur la tête un de ces masques de pantomime, comme ceux dont se servent les
acteurs ambulants quand ils jouent une moralité. Ce masque-là appartenait à
celui qui incarne le Diable ; il était rouge sang, avec une bouche tordue
et des cornes de chaque côté. J’ai eu si grand-peur que je me suis cachée tout
à trac. Il est passé près de moi en un clin d’œil. Je n’aurais guère accordé d’importance
à cette aventure. C’était peut-être un jouvenceau qui voulait s’amuser ?
Il y a tant de ribauderie céans. Puis je me suis souvenue des paroles de
Furrell qui disait que l’un des voyageurs qu’il avait rencontrés, en passant
par là, avait vu quelque chose de semblable.
Elle effleura la main de Corbett et lui désigna
une brèche dans la haie qui menait à la noue.
— Il faut que je parte.
Elle frappa le sentier de son bâton.
— Si vous voulez, vous pouvez venir avec
moi.
Elle fit mine de boire.
— J’ai du très bon vin...
Le magistrat scruta les ténèbres.
— Vous avez aperçu Elizabeth qui se
dirigeait, à travers champs, vers Devil’s Oak ? N’avez-vous pas trouvé
cela bizarre ? Pourquoi ne pas l’avoir suivie ?
— Je n’ai vu personne d’autre, Messire. Je
ne suis pas de Melford. Si peu de gens m’aiment, dans l’ensemble, ils me
tolèrent. Je ne veux point que l’on m’accuse de mettre mon nez où il ne faut
pas ni d’espionner. Elizabeth est entrée dans le bosquet. Elle était seule et
il n’y avait rien de suspect, alors je suis partie.
— Elle a donc rencontré son assassin ?
Pourquoi une jeune femme se rendrait-elle dans un endroit désert pour voir
quelqu’un ? Comment saurait-elle où elle devrait aller ? Je parie qu’elle
pouvait à peine lire, insista le clerc.
— Je l’ignore, Messire, mais si vous venez
avec moi, je pourrais vous éclairer.
Corbett saisit les rênes de son cheval.
— Il fait fort sombre, murmura-t-il.
— Vous ne faites point seulement référence
à la nuit, n’est-ce pas, Sir Hugh ?
— En effet, répondit-t-il en frissonnant.
Croyez-vous aux fantômes, Sorrel ?
— Je crois que les morts marchent et
essaient de nous parler.
— J’espère qu’ils vont me parler, répondit
Corbett. Toutes ces malheureuses violées et tuées sans merci ! Il serait
grand temps que leurs fantômes trahissent l’assassin !
CHAPITRE
VI
Le magistrat, guidant sa monture, franchit le
fossé derrière Sorrel et entra dans la noue. Le sol, humide, était encore
ferme. Corbett avait l’impression d’avancer dans un paysage de rêve :
autour de lui les arbres et les buissons étaient baignés de clair de lune.
Sorrel marchait à grands pas devant lui en balançant son gourdin et en
fredonnant. Un hibou en chasse s’envola comme une ombre blanche au-dessus d’eux.
Le cheval de Corbett broncha et le magistrat s’arrêta pour lui permettre de
flairer sa main. Il ne pouvait s’empêcher de penser aux réactions de Maeve si
elle voyait son époux, clerc royal et seigneur du manoir, foulant les prés
enveloppés de nuit avec cette femme mystérieuse. Le hibou, à présent qu’il
avait atteint les arbres lointains, commença à hululer, cri bas et sinistre
mais clair dans l’air nocturne.
— Mon homme, dit Sorrel par-dessus son
épaule, soutenait toujours que les hiboux étaient les âmes des prêtres qui ne
chantaient pas leurs messes.
— Auquel cas, ironisa le magistrat, les
bois devraient en être remplis !
Elle éclata de rire et reprit sa marche.
— Que pouvez-vous me narrer sur les
habitants de Melford ?
— Oh, je pourrais vous en dire long,
Messire, cependant ils comprendraient alors que vous m’avez parlé. Il me semble
préférable que vous découvriez ça par vous-même. Je vais vous montrer ce que j’ai
et vous laisserai réfléchir. Toutefois...
Elle s’arrêta pour permettre à son compagnon de
la rattraper.
— ... vous avez prétendu être dans un
labyrinthe, alors je vous aiderai. Blidscote est gras et corrompu. Deverell, le
charpentier, a beaucoup à cacher, quant à Repton, l’échevin, il est froid et
dur. C’est bien la question,
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