La Trahison Des Ombres
s’excusa-t-il.
— En fin de compte, Sir Hugh, la justice
triomphera. Si Deverell a porté un faux témoignage, et d’autres avec lui, alors
que cela retombe sur leur tête ! Je ne peux qu’accepter le verdict du
jury. Dieu sait que j’ai plaidé pour la vie de Sir Roger !
— Je sais, admit Corbett en jetant un coup
d’œil par-dessus son épaule vers l’escalier. Deverell, que Dieu l’ait en Sa
sainte garde, a menti et s’est parjuré. Mais pour quoi ? De l’or ou de l’argent ?
Il fit une grimace.
— Un homme comme lui n’aurait pas risqué sa
vie et sa réputation pour ça. Non, il a sans nul doute subi des pressions.
Quelqu’un, par ici, savait que c’était un moine en fuite, ce qui signifiait que
son mariage n’était point valide. Cela aurait pu se savoir à la cour de l’archidiacre :
Deverell aurait pu être soit excommunié soit ramené de force dans son monastère
pour faire pénitence au pain et à l’eau.
— Il s’est donc parjuré ?
— Oui. La question est : qui
connaissait son secret ? Je m’interroge à son sujet, continua Corbett.
Est-ce lui qui a expédié à Molkyn le meunier ce verset du Lévitique ?
— Quel verset ? s’enquit Sir Louis.
— Je vous narrerai ça plus tard.
Ils sortirent au soleil. Corbett entendit qu’on
l’appelait. Sorrel déboucha d’une ruelle.
— Deverell est donc mort !
murmura-t-elle, les yeux brillants. Châtiment approprié pour un parjure !
Elle tendit au magistrat la pièce qu’il lui
avait offerte la veille.
— Je n’aurais point dû l’accepter.
— Pourquoi pas ? questionna le
magistrat en l’éloignant un peu de ses compagnons.
— Je ne vous l’ai pas dit, avoua-t-elle,
mais j’ai beaucoup d’argent.
— Comment cela se fait-il ?
— Une pièce, enveloppée dans un bout de
vélin, est déposée trois fois l’an à Beauchamp. Il n’y a nul message. Cela dure
depuis la mort de Furrell. Chaque Premier de l’an, à Pâques et à la
Saint-Michel.
— Gardez-la.
Corbett serra les doigts de Sorrel sur la pièce.
Il s’apprêtait à rejoindre les autres quand grand-mère Crauford s’avança en
boitillant, canne martelant les pavés, une main appuyée avec fermeté sur le
bras de Peterkin. Elle chassa un chat errant de son chemin.
— Encore des morts, clerc du roi ! On
devrait rebaptiser Melford « Haceldema » !
— Le Champ de sang, traduisit le clerc.
Pourquoi ?
— Il y a toujours eu des meurtres,
déclara-t-elle.
— Que se passe-t-il ?
Corbett jeta un regard à Peterkin, qui regimbait
de peur.
— Il vit avec moi, expliqua la vieille
femme, et il est tout épouvanté. Il croit que vous êtes venu pour le conduire
dans un asile de fols, où on le nourrira de pain et d’eau et où il sera
fouetté.
Peterkin ne s’était pas rasé, son visage était
sale, ses yeux emplis de terreur et sa lèvre inférieure tremblait. Si sa
compagne ne l’avait pas retenu par le poignet, il aurait détalé comme un lapin.
Corbett sortit une pièce de son escarcelle et, saisissant la main du garçon, le
força à l’accepter.
— Je ne suis point céans pour t’emmener,
expliqua le clerc avec douceur. Peterkin est mon ami. Grand-mère Crauford est
mon amie. Achète des sucreries, une tourte chaude ou viens me rejoindre à La
Toison d’or. Tu prendras une chope de bière.
Ce fut merveille que de voir le changement qui
se peignit sur le visage de l’idiot. Il se libéra et se mit à danser d’un pied
sur l’autre en fredonnant entre ses dents.
— Peterkin est riche ! Peterkin est
riche ! bafouilla-t-il.
— Oui, Peterkin est un ami du roi, ajouta
le magistrat.
Il était sur le point de s’éloigner quand
grand-mère Crauford l’attrapa par la main.
— C’était généreux de votre part, clerc,
marmonna-t-elle. Mais faites attention quand vous passez dans Haceldema !
CHAPITRE XIII
Les jurés formaient un groupe disparate
de petits marchands et de fermiers. Installés dans un coin de la grand-salle, l’air
quelque peu marri, ils s’agitaient, mal à l’aise, et semblaient effrayés à l’idée
de rencontrer le clerc du roi. Ils s’étaient donné du courage à grands coups de
pichet de bière. Tressilyian fit sortir les autres clients. Sir Maurice
Chapeleys, assis un peu à l’écart, les pieds sur un escabeau, tambourinait des
doigts sur la table. Chanson partit s’occuper des chevaux. Ranulf s’installa
près de son maître. Le
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