La Trahison Des Ombres
sueur.
— J’aimerais faire une confession,
bafouilla-t-il. Sir Louis, j’aurais dû vous l’avouer plus tôt.
— De quoi s’agit-il ? le pressa
Corbett.
— Deux années environ après le procès je me
trouvais dans un estaminet, Le Groseillier, à l’autre
bout de la ville. Molkyn est entré. Il venait de vendre de la farine et buvait
ses gains. La plupart du temps, c’était un bâtard mal embouché, qui cherchait
toujours querelle – il avait des poings gros comme des jambons ! Il
m’a appelé. J’étais en train de livrer de la viande. Il a beaucoup insisté et j’ai
fini par le rejoindre. Il était complètement ivre. Nous avons bavardé de choses
et d’autres. « Crois-tu aux fantômes ? m’a-t-il demandé tout à trac.
— Que veux-tu dire ? ai-je questionné.
— Sir Roger Chapeleys, a-t-il répondu.
Penses-tu qu’il puisse revenir nous hanter à cause de ce que nous avons fait ? »
J’étais mal à l’aise ; ce genre de conversation ne me convenait guère. « Il
était coupable, ai-je fait remarquer.
— Et s’il ne l’avait pas été ? »
a-t-il objecté, sarcastique.
— Plaît-il ? l’interrompit Corbett.
Molkyn a dit ça ?
— Oui. J’ai pris peur. Je l’ai interrogé
mais, toute ruse, il a joué les effarouchés en tapotant son nez charnu et en
clignant de l’œil. Il a ensuite fait allusion à une querelle qu’il avait eue
avec Furrell le braconnier. « Quelle querelle ? » ai-je voulu
savoir. Il semble qu’après le procès Furrell ait abordé Molkyn en prétendant
que Sir Roger était innocent et qu’il en avait la preuve. Molkyn l’a envoyé au
diable. Furrell a aussi accusé Molkyn d’être parjure et il a ajouté quelque
chose de très étrange. Il a affirmé qu’à Melford il y avait une preuve
dénonçant le véritable meurtrier et qu’elle était aussi claire qu’une peinture
pour quiconque la voyait.
— Et... ? le pressa Corbett.
— C’est tout ce que Molkyn m’a confié. Il
avait l’esprit confus et était éméché ; je l’ai donc quitté.
— Y a-t-il autre chose ?
Un chœur de dénégations s’éleva. Corbett
remercia les jurés qui sortirent sans demander leur reste, pressés d’échapper
aux yeux perçants et aux questions indiscrètes du clerc.
Ce dernier interpella Sir Maurice :
— Vous voilà bien silencieux, Messire ?
Le jeune homme lui jeta un coup d’œil renfrogné.
— Sir Hugh, que puis-je faire ? Je n’étais
qu’un jouvenceau quand mon père a été pendu. Comment pourrais-je parcourir
Melford en posant des questions ?
Il se rembrunit encore.
— Je le lis dans leurs yeux, Sir Hugh. On
le considère toujours comme un tueur, un assassin.
Son regard s’adoucit.
— Mais j’ai confiance en vous. Justice sera
faite.
— Sir Louis, étiez-vous mal à l’aise
pendant le procès de Sir Roger ? s’enquit Corbett en embrassant la pièce
du regard pour s’assurer que nulle oreille indiscrète ne traînait.
Mais plein de bon sens, Matthew, l’aubergiste,
avait éloigné servantes et valets.
— Bien sûr, mais qu’y pouvais-je ? La
seule chose que Sir Roger a réfutée sans en démordre était le témoignage de
Deverell.
— Et celui de Furrell ?
Sir Louis soupira et s’installa sur un tabouret
en face. Le juge avait mal dormi : il avait les yeux rouges et battus.
— Sir Hugh, Sir Roger protégeait Furrell.
Il baissa la voix.
— Et il y a autre chose. Trois jeunes
femmes ont été tuées avant la mort de la veuve Walmer, n’est-ce pas ?
Corbett acquiesça.
— Bon, quoi que vous ait dit Sorrel, et je
vous ai vu lui parler, Furrell était un coquin. C’était un voleur. Il
braconnait sur mes terres, comme sur celles de tout un chacun, mais, bien
entendu, nous feignions de ne pas le savoir. Il ne prenait que ce dont il avait
besoin et n’était pas méchant. Si ce n’est, continua le juge, que c’était un
homme qui aimait les femmes. Quand il venait aux danses de mai ou à la
pantomime sur le pré communal, Furrell, s’il était ivre, était ardent et
luxurieux comme un bouc. Les meurtres une fois découverts, Blidscote et moi
avons enquêté. Les soupçons se portèrent sur Furrell. On connaissait sa façon d’aborder
les jouvencelles. Il les accostait, mais hors de vue de Sorrel, et, surtout, il
connaissait pistes et sentiers.
— Mais il est mort !
— L’est-il, Corbett ? Où est le cadavre ?
Quel signe, quelle preuve
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