La Traque des Bannis
lorsqu’il chercherait à abattre son adversaire. Et les Génovésiens étaient trop aguerris pour se retrouver dans une position aussi désavantageuse.
Aussi enfourchèrent-ils leurs montures et s’engagèrent-ils dans les herbes, à présent plus sereins, ce qui ne les empêchait pas de scruter le sol avec attention et de se retourner de temps à autre pour vérifier leurs arrières. Au bout de plusieurs kilomètres, ils atteignirent le sommet d’une colline. En contrebas, s’étalait une large vallée.
— C’est là qu’il va falloir se montrer prudent, annonça Halt.
La plaine se déployait sur des kilomètres. Au loin, les trois cavaliers distinguèrent le reflet métallique d’une rivière qui serpentait à travers la campagne. La pente légère de la colline menait vers une étendue bien différente d’arbres nus et désolés qui poussaient irrégulièrement ; leurs branches étaient étrangement tordues, comme agonisantes ou suppliantes. Ils étaient des milliers. Peut-être même des dizaines de milliers, serrés les uns contre les autres, gris et morts.
Pour Will, accoutumé aux verdoyantes forêts de Montrouge et de Seacliff, il émanait de ce paysage un étonnant sentiment de désolation. Le vent soupirait entre les troncs sans vie, murmurant un chant lugubre à peine audible. Privées de feuilles et de sève, les branches aux contours bien définis n’ondulaient pas avec grâce, mais demeuraient raides et inflexibles en dépit de la douce brise. Le jeune Rôdeur songea qu’à la moindre bourrasque, nombre d’entre elles devaient se briser et tomber sur le sol, pareilles à des lances grises et gauchies.
— Quel est cet endroit, Halt ? chuchota-t-il, comme si le lieu lui inspirait un respect que l’on doit habituellement aux morts.
— Une forêt noyée.
Horace se pencha en avant, les mains croisées sur le pommeau de sa selle, tandis qu’il contemplait le triste spectacle qui s’offrait à eux.
— Comment une forêt peut-elle se noyer ? s’enquit-il.
À l’instar de Will, il avait parlé à voix basse, comme s’il craignait de perturber les silhouettes difformes qui se dressaient en contrebas, lesquelles semblaient requérir un minimum d’égards.
Halt indiqua la rivière lointaine, au-delà des arbres et d’une petite crête.
— À mon avis, ce cours d’eau a débordé il y a des années de cela, durant une saison particulièrement pluvieuse. Tout simplement, les arbres ont été submergés, leurs racines se sont gorgées d’eau et ils se sont peu à peu noyés, incapables de survivre.
— J’ai pourtant déjà vu des tas d’inondations, fit observer Horace. Un fleuve déborde, l’eau monte, puis reflue et tout revient à la normale.
— Oui, c’est ainsi que les choses se passent en temps habituel, répondit Halt tout en étudiant le relief de la plaine. Et les arbres en sortent indemnes. Mais regarde ce paysage un peu plus attentivement. Cette crête basse contient la rivière dans son lit. Cependant, une fois que les eaux ont dû la franchir, elles n’ont pu refluer quand la pluie a cessé, et elles ont stagné entre les arbres.
— Il y a longtemps que c’est arrivé, d’après toi ? demanda Will en secouant la tête avec tristesse.
— Ces troncs sont bel et bien morts. Cela doit faire cinq ou six décennies qu’ils pourrissent ici.
Tout en devisant ainsi, Halt avait cherché des yeux une piste qui conduisait en bas de la pente. Dès qu’il l’eut trouvée, il pressa Abelard de s’y engager, ses deux compagnons à sa suite. Lorsqu’ils atteignirent la lisière de la forêt, il comprit quel obstacle formidable cette dernière représentait. Les troncs étaient d’un gris sans nuances ; en outre, à cause de leurs formes tordues, irrégulières, il était difficile de les différencier : ils se fondaient les uns aux autres, telle une muraille grisâtre.
— Voici un endroit idéal pour une embuscade, déclara le vieux Rôdeur.
Il mit pied à terre et fit quelques pas, les yeux rivés au sol, avant de faire signe à ses amis de le rejoindre.
— Will, te souviens-tu des empreintes que les Bannis ont laissées dans la lande, quand nous sommes sortis de la forêt ?
Le jeune Rôdeur acquiesça.
— Regarde un peu celles-ci et dis-moi si tu détectes des similarités.
Will aperçut un fil de laine accroché à un buisson. Un peu plus loin, il découvrit un objet luisant qu’il ramassa : c’était un bouton en corne. À quelques pas de là, dans
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