La Vallée des chevaux
tomber et elle était trop loin de la vallée pour songer à faire
demi-tour. Elle se laissa glisser au sol, débarrassa Whinney de ses paniers et,
pendant que la jument batifolait, elle établit son campement. Grâce à la pierre
à feu et au silex qu’elle avait emportés, elle n’eut aucun mal à faire une
flambée qu’elle alimenta avec des branches sèches et des bois flottés. Pour son
repas, elle fit griller des tubercules enveloppés dans des feuilles et un hamster
géant farci d’herbes comestibles. Puis elle monta sa tente. Elle siffla alors
Whinney et se glissa sous sa fourrure, laissant juste dépasser sa tête hors de
l’abri.
Les nuages s’étaient retirés à l’horizon et il y avait tellement
d’étoiles qu’on aurait cru une seule source de lumière, d’un éclat
extraordinaire, tentant de traverser l’écran noir du ciel nocturne. Creb disait
que ce sont des feux allumés dans le ciel, songeait Ayla en regardant les
étoiles, les foyers du monde des esprits et aussi les foyers des totems. Voici
le foyer d’Ursus et, un peu au-dessus, celui de mon totem, le Lion des
Cavernes. Comme il est étrange que ces foyers bougent dans le ciel mais qu’ils
conservent toujours le même dessin. Je me demande si les totems partent
chasser, puis s’ils retournent ensuite à leurs cavernes...
Moi, en tout cas, il faut que je trouve le moyen de chasser un
renne. Et le plus vite possible. Les rennes mâles ne vont pas tarder à émigrer.
Eux aussi traverseront la rivière à cet endroit.
— Tu as senti quelque chose, Whinney ? demanda Ayla en
voyant que la jument se rapprochait d’elle et du feu.
Pour s’adresser à Whinney, elle venait d’utiliser et d’assembler
des sons qui ne ressemblaient en rien à ceux utilisés par le Clan. Elle était
capable de pousser un hennissement, impossible à distinguer de celui de
Whinney, de glapir comme un renard, de hurler comme un loup et elle était
presque arrivée à siffler comme certains oiseaux. Elle s’était libérée de
l’interdit qui, au sein du Clan, frappait l’usage des sons inutiles et son
langage personnel s’était beaucoup enrichi. La capacité qu’avaient les êtres de
son espèce à articuler des mots était en train de reprendre ses droits.
Recherchant un maximum de sécurité, la jument s’était installée
entre le feu et Ayla.
— Pousse-toi, Whinney, lui dit celle-ci. Tu me prives de la
chaleur du feu.
Comme la jument ne semblait nullement décidée à bouger, ce fut
Ayla qui se leva. Elle rajouta un peu de bois dans le feu et entoura de son
bras l’encolure de Whinney pour la rassurer. Je crois qu’au lieu de me
recoucher je vais entretenir le feu, se dit-elle. Quel que soit l’animal qui a
fait peur à Whinney, j’ai l’impression qu’il s’attaquera de préférence aux
rennes avant de s’en prendre à elle si elle reste à côté du feu. J’ai donc intérêt
à ce qu’il ne s’éteigne pas avant un certain temps.
Elle s’accroupit en face du feu et regarda les flammes, suivant
des yeux les étincelles qui disparaissaient dans la nuit chaque fois qu’elle
ajoutait un nouveau morceau de bois. Quand elle entendit du bruit de l’autre
côté de la rivière, elle se dit qu’un renne venait d’être la proie d’un félin
quelconque. Et elle, comment s’y prendrait-elle pour en tuer un ? Elle
était en train d’y réfléchir quand, à un moment donné, elle fut obligée de pousser
Whinney pour prendre du bois. Cela lui donna soudain une idée.
Elle attendit pour se recoucher que Whinney fût détendue, ce qui
lui donna tout loisir pour méditer. Quand elle se glissa sous sa fourrure, son
idée de départ s’était transformée en un plan dont elle possédait déjà les
grandes lignes. Au moment de s’endormir, elle se mit à sourire en songeant à
quel point cette idée était audacieuse et quelles merveilleuses possibilités
elle offrait.
Le lendemain matin, quand elle traversa la rivière, le troupeau de
rennes s’était déjà remis en route. Ayla n’avait nullement l’intention de les
suivre. Elle revint vers la vallée au triple galop. Elle avait beaucoup à faire
si elle voulait être prête à temps.
— Avance, Whinney ! disait Ayla en guidant
patiemment la jument. Ce n’est pas si lourd que ça.
Le poitrail et le dos harnachés de cordes et de courroies,
Whinney tirait un lourd rondin. Pour commencer, Ayla avait placé ces lanières
sur le front de la jument, imitant la sangle
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