La Vallée des chevaux
Puis elle remonta sur le dos de Whinney.
Quand, pour la troisième fois, elle dut descendre de sa monture
pour libérer son chargement d’un obstacle qui entravait sa progression rocher
ou buisson – elle se dit qu’il valait mieux marcher à côté de
Whinney. A un moment donné, comme elle ne cessait de faire des allées et venues
pour dégager le renne, elle voulut remettre ses chausses et remarqua alors la
bande de hyènes qui la suivait. Les pierres qu’elle lança obligèrent les
nécrophages à se replier mais ne les dissuadèrent pas pour autant de la suivre.
La présence des hyènes perturbait Whinney et accroissait sa
nervosité et Ayla se demandait avec inquiétude si la jument parviendrait à
regagner la vallée avant la nuit.
Arrivées à un endroit où la rivière faisait une boucle, elles
s’arrêtèrent pour se reposer. Ayla remplit d’eau sa gourde et un grand panier
étanche et elle donna à boire à Whinney. Elle prit une galette de voyage et
s’assit sur un rocher pour la manger. Les yeux baissés, elle était en train de
réfléchir à un moyen plus pratique pour transporter le renne quand soudain elle
remarqua que la terre avait été remuée en surface. Le sol avait été piétiné,
l’herbe foulée et les traces semblaient toutes fraîches. En les examinant de
plus près, elle finit par reconstituer ce qui s’était passé.
D’après les empreintes laissées dans la boue sèche au bord de la
rivière, elle se trouvait sur le territoire d’une bande de lions des cavernes.
Il devait y avoir non loin de là une petite vallée avec des parois rocheuses
escarpées et une caverne bien abritée où une lionne avait certainement mis au
monde deux lionceaux un peu plus tôt dans l’année. Les lions devaient aimer
venir se reposer à cet endroit. Par jeu, les lionceaux se battaient entre eux
pour arracher avec leurs dents de lait des lambeaux de chair à un quartier de
viande sanguinolente, tandis que les mâles rassasiés paressaient sous le soleil
matinal et que les femelles au poil lisse regardaient d’un œil indulgent leurs
petits en train de s’amuser.
Ces énormes félins étaient les rois incontestés de leur domaine.
Ne risquant pas d’être attaqués par d’autres animaux, ils ne craignaient rien.
Normalement, jamais les rennes n’auraient dû s’aventurer aussi près de leurs
prédateurs naturels. Mais l’intervention d’Ayla avait semé la panique dans le
troupeau et la rivière n’avait nullement ralenti sa fuite éperdue. Fonçant
droit devant eux, les rennes avaient dû faire irruption en plein milieu de la
bande de lions. Se rendant compte trop tard qu’en fuyant un danger ils venaient
d’en rencontrer un autre, pire encore, ils s’étaient alors éparpillés dans
toutes les directions.
Suivant toujours les traces, Ayla finit par découvrir ce qui
constituait la conclusion de l’histoire : trop lent pour éviter ce
déferlement de sabots, un des lionceaux avait été piétiné par le troupeau.
Ayla s’agenouilla à côté du bébé lion et, en bonne guérisseuse,
elle l’examina pour voir s’il vivait encore. Le lionceau était chaud, et il
avait certainement les côtes cassées. Il semblait mal en point mais respirait
encore. D’après les traces laissées autour de lui dans la poussière, sa mère
avait dû l’encourager à se relever avant de se rendre compte que cela ne servait
à rien. Suivant la loi de la nature selon laquelle les plus faibles sont amenés
à disparaître pour que l’espèce survive, elle avait abandonné le petit blessé
pour rejoindre le reste de la bande.
Seul l’homme faisait exception à cette règle. Pour lui, la survivance
de l’espèce ne dépendait pas uniquement de la force et de la bonne santé de ses
membres. Chétifs en comparaison de ces carnivores, il fallait que les hommes
s’entraident et fassent preuve de compassion.
Pauvre bébé, songeait Ayla. Ta mère ne pouvait rien faire pour
toi. Ce n’était pas la première fois que la jeune femme avait pitié d’une
créature blessée et sans défense. Pendant un court instant, elle se dit qu’elle
allait ramener le lionceau à la caverne, puis elle y renonça. Lorsqu’elle
vivait au sein du clan, Brun et Creb l’avaient autorisée à ramener des animaux
blessés afin qu’elle apprenne son métier de guérisseuse en les soignant. Mais
Brun lui avait interdit de soigner un louveteau. Ce lionceau avait déjà presque
la taille d’un loup et un jour
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