La Vallée des chevaux
l’âge du shamud restait un mystère.
Son air ferme et résolu, apanage de la jeunesse, contrastait
singulièrement avec ses cheveux blancs et les rides qui marquaient son visage.
Malgré ses vêtements informes, on voyait bien qu’il était maigre et fluet, mais
il avait conservé une démarche de jeune homme. Ses mains elles-mêmes,
parcheminées et déformées par l’arthrite, semblaient appartenir à un être très
âgé. Malgré tout, alors qu’il portait la coupe à sa bouche, aucun tremblement
ne les agitait.
Au moment où le fond de la coupe escamotait le regard scrutateur
dit shamud, Jondalar se demanda si ce dernier ne l’avait pas fait exprès dans
le but de faire baisser la tension qui régnait entre eux. Après avoir bu une
gorgée, il dit :
— Le shamud, grand talent pour guérir.
— C’est un don de Mudo, répondit-il.
Jondalar avait beau concentrer toute son attention sur le timbre
de voix du shamud, il ne parvenait pas à décider s’il avait affaire à un homme
ou à une femme. Mais quel que soit le sexe de cet énigmatique personnage, une
chose était sûre : il n’était pas resté toute sa vie célibataire. Ses
reparties moqueuses et ses regards entendus en étaient la meilleure preuve.
Jondalar mourait d’envie de le questionner à ce sujet, mais il ne savait
comment formuler sa question et craignait de manquer de tact.
— La vie du shamud, pas facile, dit-il. Il a dû renoncer à
beaucoup de choses. L’Homme Qui Guérit a jamais désiré s’unir à
quelqu’un ? L’espace d’un instant, le shamud ouvrit de grands yeux. Puis
il éclata d’un rire sardonique.
— Qui aurait accepté de s’unir avec moi, Jondalar ?
demanda-t-il. Si tu avais croisé ma route lorsque j’étais plus jeune,
peut-être me serais-je laissé tenter... Mais toi, aurais-tu succombé à mes
charmes ? Si j’avais offert à l’Arbre de la Bénédiction un collier de
perles, aurais-tu pour autant partagé ma couche ?
Tout en parlant, le shamud avait penché la tête d’un air un peu
effarouché. L’imitation était si parfaite que Jondalar était persuadé que
c’était une jeune femme qui venait de s’adresser à lui.
— Mais peut-être aurait-ce été une erreur de te faire des
avances, reprît le shamud. Je ne sais pas si j’aurais réussi à satisfaire tes
appétits sexuels et à éveiller ta curiosité envers d’autres formes de
plaisir ?
Jondalar piqua un fard. Il s’était trompé. Cela ne l’empêchait
pas de se sentir maintenant attiré par le regard sensuel et lascif de son
vis-à-vis et par la grâce féline de son corps. C’est un homme, se dit-il, mais
il a les goûts sexuels d’une femme. A nouveau, le shamud éclata de rire.
— La vie de Celui Qui Guérit est déjà difficile,
continua-t-il, mais c’est encore pire pour celle qui vit avec lui. La compagne
d’un homme est ce qui compte le plus à ses yeux. Comment abandonner en pleine
nuit une femme comme Serenio, par exemple, pour aller soigner quelqu’un ?
Non seulement c’est un homme, mais il a les mêmes goûts que moi,
se dit Jondalar en remarquant la petite lueur qui s’était allumée au fond des
yeux du shamud quand il avait été question de la ravissante Serenio. Il n’y
comprenait plus rien. Mais soudain, la virilité du shamud sembla prendre une
tout autre tournure.
— Je ne crois pas que j’aurais supporté de la laisser seule
avec tous ces hommes en train de lui tourner autour comme des rapaces,
ajouta-t-il, presque avec rage.
Pour éprouver une telle animosité envers les hommes, le shamud
est une femme, se dit Jondalar. Mais une femme d’un genre très particulier. Une
femme avec des goûts d’homme. Mais ne se trompait-il pas encore une fois ?
S’adressant pour la première fois à Jondalar comme à un égal,
capable de le comprendre, l’Homme Qui Guérit reprit :
— J’aimerais bien que tu me dises lequel de ces visages est
vraiment le mien, Jondalar. Et avec lequel tu aimerais t’unir. Certains d’entre
nous essaient d’avoir une relation suivie avec un autre être, mais cela ne dure
jamais longtemps. Les dons dont nous héritons ne sont pas une bénédiction sans
mélange. Celui Qui Guérit n’a pas d’identité, sauf au sens le plus large du
terme. Le shamud n’a plus de nom, son moi s’est effacé, il ne vit plus que dans
l’essence. Même s’il en tire certains bénéfices, il est rare que l’Union en
fasse partie. Quand on est jeune, il est parfois
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