La Vallée des chevaux
poussa un hennissement. Maintenant que
le lionceau était niché dans les bras d’Ayla, elle n’en avait plus peur. Le
fait de vivre avec un être humain avait déjà modifié son comportement. Il y
avait des chances qu’elle finisse par accepter la présence du jeune félin.
Rassuré par les caresses d’Ayla, le lionceau fourrait son museau
dans les replis de son vêtement, cherchant à téter.
— Tu as faim, n’est-ce pas, bébé ? demanda Ayla en
récupérant le récipient où elle avait versé le bouillon.
Comme le lionceau reniflait l’épais bouillon sans y toucher,
elle y trempa ses doigts et les fourra dans la gueule de l’animal. Il comprit
tout de suite ce qu’on attendait de lui et, comme n’importe quel bébé, se mit à
téter.
Assise sur le sol de la petite caverne, se balançant d’avant en
arrière pour bercer le lionceau tandis que celui-ci continuait à sucer le bout
de ses doigts, Ayla était tellement absorbée par le souvenir de son fils
qu’elle ne se rendit pas compte que des larmes coulaient le long de ses joues
et tombaient sur la fourrure de l’animal niché sur ses genoux.
Pendant ces premiers jours – et ces premières nuits où
le jeune lion s’endormait contre elle en suçant le bout de ses doigts –,
entre la jeune femme solitaire et le lionceau des cavernes, un lien se forma,
un lien très différent de celui qu’aurait eu le jeune animal avec sa mère
naturelle. Les lois de la nature sont sans pitié, tout particulièrement à
l’égard des petits du plus puissant des prédateurs. Même si la lionne
nourrissait ses petits à la mamelle durant les premières semaines – et
qu’elle les laissait encore téter, occasionnellement, jusqu’à ce qu’ils aient
atteint l’âge de six mois – dès que les lionceaux ouvraient les yeux,
ils commençaient à manger de la viande. Mais, dans une troupe de lions, il
existait une hiérarchie très stricte et ces animaux ne s’embarrassaient pas de
sentiments.
La lionne chassait et, contrairement aux autres félins, elle ne
chassait jamais seule, mais en compagnie de deux ou trois autres lionnes. La
petite bande constituait une fantastique équipe de prédateurs. Les lionnes
n’hésitaient pas à s’attaquer à un cerf géant ou à un jeune aurochs mâle. Seul
le mammouth était à l’abri de leurs attaques, à condition d’être adulte ou de
ne pas être affaibli par l’âge. Mais les lionnes ne chassaient pas pour nourrir
leurs petits. Les proies qu’elles ramenaient étaient destinées au mâle. Le mâle
dominant avait droit à « la part du lion » : pour que les
lionnes puissent manger, il fallait d’abord qu’il soit rassasié. Quand elles
avaient eu leur part, les jeunes mâles de la bande s’approchaient à leur tour.
Les lionceaux se disputaient les restes – quand il y en avait.
Si un des lionceaux affamés avait le malheur de s’emparer d’un
morceau de viande avant que ce soit son tour, il recevait aussitôt un coup de
patte, qui pouvait lui être fatal. Les lionnes empêchaient donc leurs petits de
s’approcher, quitte à ce qu’ils meurent de faim. Les trois quarts des lionceaux
n’atteignaient pas l’âge adulte. Ceux qui échappaient à cette sélection
impitoyable étaient souvent exclus de la bande à l’âge adulte et devenaient
alors des nomades rejetés de partout, à plus forte raison s’il s’agissait de
mâles. Les femelles étaient moins mal loties : une bande qui manquait de
chasseurs acceptait qu’une lionne nomade rejoigne ses rangs, à condition que
celle-ci reste en marge de la troupe.
Pour un mâle, le seul moyen de se faire accepter était de se
battre, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Quand un mâle dominant était âgé
ou blessé, il était chassé par un jeune membre de la bande ou, plus
vraisemblablement, par un vagabond, qui prenait aussitôt sa place. Le mâle
assurait alors deux fonctions : défendre le territoire de la troupe – marqué
par ses glandes à sécrétion odoriférante et par l’urine des lionnes – et
assurer la reproduction.
Il arrivait parfois qu’un mâle et une femelle nomades
s’accouplent pour former le noyau d’une nouvelle bande. Mais cela les obligeait
à se tailler à coups de griffe un territoire chèrement gagné sur celui de leurs
congénères. C’était là une existence bien précaire.
Mais Ayla n’était pas une lionne. Comme tous les humains, elle
ne se contentait pas de protéger ses
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