La Vallée des chevaux
n’avait jamais rien vu d’aussi
drôle et elle riait tellement qu’elle dut s’appuyer contre un arbre en se
tenant les côtes.
Quand ses hoquets se calmèrent, elle se demanda, tout étonnée,
ce qui lui arrivait. Quel était ce bruit qu’elle faisait quand quelque chose
l’amusait ? Que se passait-il alors ? Était-ce normal ? Si oui,
comment expliquer que les membres du Clan lui aient toujours dit que cette
manifestation de gaieté n’était pas convenable ? A l’exception de son
fils, dans le Clan, personne ne riait ni ne souriait. Et pourtant ils étaient
sensibles à l’humour. Mais quand quelqu’un racontait une histoire drôle, ils se
contentaient de hocher la tête pour montrer qu’ils appréciaient la plaisanterie
et le plaisir qu’ils éprouvaient se lisait dans leurs yeux. Il leur arrivait
parfois de faire une grimace qui ressemblait à un sourire, mais celle-ci
exprimait soit une menace, soit une nervosité craintive, jamais la joie qu’Ayla
ressentait lorsqu’elle riait.
Pourquoi les membres du Clan jugeaient-ils que c’était mal de
rire alors qu’à elle, cela lui faisait tellement plaisir ? Les gens comme
elle riaient-ils eux aussi ? Le fait de repenser aux Autres mit fin à son
accès de gaieté. N’était-ce pas une erreur d’avoir cessé toutes
recherches ? Non seulement elle avait désobéi à Iza mais, en vivant seule,
elle prenait des risques. Que se passerait-il si elle tombait malade ou si elle
avait un accident ?
Pourtant, elle était si heureuse dans cette vallée avec sa
petite famille d’animaux ! Whinney et Bébé ne lui lançaient pas de regards
désapprobateurs quand elle courait. Ils ne lui interdisaient pas de sourire ou
de pleurer. Ils ne lui disaient pas ce qu’elle devait chasser et quelle arme
elle devait utiliser. Elle faisait ce qu’elle voulait et se sentait entièrement
libre. Le temps qu’elle passait à subvenir à ses besoins ne limitait pas sa
liberté. Au contraire. Comme elle était capable de se débrouiller seule, elle
avait de plus en plus confiance en elle.
Avec le temps, la tristesse qu’elle éprouvait à vivre séparée de
ceux qu’elle aimait avait beaucoup diminué. Même si elle souffrait du manque de
contacts humains, elle s’était si bien habituée à cette situation qu’elle la
trouvait normale. Tout ce qui pouvait atténuer sa solitude était une véritable
joie et les deux animaux avec lesquels elle vivait comblaient en grande partie
le vide de sa vie. A ses yeux, Whinney et elle jouaient le rôle que Creb et Iza
avaient tenu auprès d’elle lorsqu’elle était enfant. Et quand le soir, avant de
s’endormir, Bébé rentrait ses griffes et la serrait entre ses pattes de devant,
elle s’imaginait parfois que Durc était à nouveau blotti contre elle.
Elle n’avait pas particulièrement envie de repartir à la
recherche des Autres. Elle craignait de devoir à nouveau se plier à des
coutumes inconnues et à des interdits. Les Autres risquaient de la priver de
cette merveilleuse faculté de rire. Je ne les laisserai pas faire, se dit-elle.
Personne, à l’avenir, ne m’empêchera de rire quand j’en ai envie.
Les deux animaux s’étaient lassés de leur jeu. Whinney était en
train de brouter et Bébé se reposait, la langue pendante. Ayla siffla. La
jument s’approcha aussitôt, suivie par le lionceau qui avançait à pas feutrés.
— Il faut que j’aille chasser, Whinney, annonça Ayla, par
gestes. Ce lion mange énormément et il est de plus en plus gros.
Dès que ses blessures avaient été guéries, le lionceau s’était
mis à suivre Ayla et Whinney dans leurs déplacements : les lionceaux
n’étaient jamais laissés seuls dans une troupe de lions. Il en était de même
pour les bébés du Clan, et Ayla avait donc trouvé ça tout à fait normal. En
revanche, elle s’était dit que cela allait lui poser un problème pour chasser.
Finalement, grâce à l’attitude protectrice de Whinney, le problème avait été
résolu de lui-même. De même que lorsque la lionne chassait, elle confiait ses
petits à une lionne plus jeune qui en avait alors la garde, Bébé avait très
facilement accepté que ce soit Whinney qui joue ce rôle. Ayla savait qu’aucune
hyène, ou animal du même genre, n’oserait braver les ruades de Whinney lorsque
celle-ci avait la garde du jeune lionceau. Mais cet arrangement supposait
qu’elle recommence à chasser seule et à pied.
Ses expéditions dans les steppes
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